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31/01/2012

L'envie dans le regard

 

Chapitres
00 Préface
01 Chemins parallèles et tronqués
02 Découverte du pot aux épines
03 Le temps variable
04 Une entrée sur terre chahutée
05 Les racines et leurs hiérarchies
06 L'innocence aux mains vides
07 L'abeille et le papillon
08 Salauds d'adultes
09 La grande école du danger de la solitude
10 Les Golden Sixties
11 Rencontres insolites
12 Rencontre avec un destin
13 Un enfoiré qui cherche son miroir
14 Postface

...

00 - Préface

Cet eBook avait été écrit à plus de 80% mais il se cherchait une raison pour sortir. Pas assez de romance? Peut-être. Le livre de Delphine de Vigan, "Rien ne s'oppose à la nuit" parle de sa mère et m'a interpellé. Il m'a permis d'y voir une occasion d'exprimer un ressenti personnel dans un cas similaire, au départ, mais qui reste très différent dans son prolongement.

0.jpg

A ma mère,

Aucune intention de devenir écrivain. Pas eu le temps pour cela.

Cela étant dit, je vous ai sorti un feuilleton pour l'été. L'hiver arrive et les soirées deviennent longues. Certains points qui n'auraient pas été compris et demandaient une explication. Une occasion d'aller plus loin ne s'imposait pas. Je viens d'écrire "Tout dire, tout écrire puis en rire". C'est alors qu'un livre initiait l'envie.

Dans la postface du livre "Rien ne s'oppose à la nuit" de Delphine de Vigan, on peut lire: "Ma famille incarne ce que la joie a de plus bruyant, de plus spectaculaire comme un écho inlassable de mots et le retentissement du désastre. Une mère qui illustre le pouvoir de destruction du verbe et celui du silence. Faut-il faire bonne figure ou faire face? Livre qui n'a rien à voir avec ma mère mais qui est empreint de sa mort et de l'humeur dans laquelle elle m'a laissé. Mon fils m'a demandé, sans préavis et sans que rien, dans la conversation qui avait précédé, ait pu amener à cette question :

- Grand-mère... elle s'est suicidée, en quelque sorte ?  

Question inattendue et réponse difficile à faire à un enfant de neuf ans. Je me le suis demandé en circuit fermé.

Elle continue en écrivant en préface "Ma mère constituait un champ trop vaste, trop sombre, trop désespéré, trop casse-gueule, en résumé. Écrire sur sa mère, au travers de soi, autour d'elle ou à partir d'elle est un terrain miné.".

Elle l'avait écrite après s'être vue licenciée après onze ans dans la même entreprise et se retrouvait avec le vertige devant son ordinateur allumé.

Mon histoire, j'avais commencé à l'écrire trente ans après. Lue en diagonale par certains amis, je savais qu'elle n'était pas finie, pas assez finie, trop intimiste, trop brute et demandait un fil rouge. Perdue entre humour ou cachée derrière des rages trop fantasques, elle s'est construite progressivement à la suite de flashes vers le passé qui suivent, généralement, les paroles "tu te souviens de ...".

Une bipolarité? Je ne sais si cela est vraiment la cas, ici, entre la forme et la formule. 

Le temps n'y change rien à la forme et la formule des événements s'oublie vite. Seul le fond reste ancré dans la mémoire. Non, rien ne s'oppose à la nuit, si ce n'est l'envie qui reste dans le regard.

Le temps s'y déroule sur plusieurs générations sans être une saga romanesque et sans finir par dormir chez la Dame de Hautes-Savoie comme le chante, Francis Cabrel.

Le "Je suis mort et alors" de Philippe Bouvard va quelque peu m'y aider. Il va me suivre tout au long de mon histoire.

Comme préambule celui de Frédéric Begbeder, écrit dans "Un roman français" pourrait servir.

"La vie d'un homme se divise en deux périodes, l'enfance et l'âge adulte. La troisième pour l'avoir accepter, est d'entrer dans l'âge du souvenir. Engagé dans les désirs et les projets d'adultes et remarquer n'en avoir presque aucun souvenir de l'enfance. Il est absolument inutile de raffiner l'analyse. L'honnêteté amène à de vraies découvertes sur la nature humaine. Famille héroïque presqu'à l'absurde pendant la première guerre mondiale. Réservée pendant la seconde. Dans un appétit de consommation, une adolescence avec les souvenirs qui affluent. Période pendant laquelle on se compare, on se confronte, on vérifie l'appartenance à une commune humanité. Telle est la vie que j'ai vécu: un roman français. Le temps envolé ne ressuscite pas et l'on ne peut enfuir l'enfance. Ce qui est narré n'est pas nécessairement la réalité. Chacun a seulement des souvenirs différents.".  

Comme toujours, vous êtes invités à intervenir avec vos anecdotes et vos expériences. Nous sommes dans le monde de l'interactivité et pas derrière les pages d'un livre papier.

Je laisse la parole à un narrateur imaginaire.

...

01 - Chemins parallèles et tronqués

"L'expression "mort naturelle" est charmante. Elle laisse supposer qu'il existe une mort surnaturelle, voire une mort contre nature.", Gabriel Matzneff

0.jpgA l’hôpital, deux personnes au chevet du lit de Raymonde, le fils unique, Guy et sa bru, plutôt que sa belle-fille, Christiane, pour assister à ses derniers soupirs. 

Le contraire de ce que Raymonde aurait imaginé mais qu'elle s'était insensiblement dépêchée de créer par bribes pour les seuls avantages de sa propre liberté.

Liberté dont elle n'avait profité que pendant sa jeunesse. Saisie par la vieillesse, depuis que sa mère à elle-même, avec qui elle vivait, était décédée, tout était parti en vrille.

Une fin de vie qu'elle n'avait pas voulu ainsi mais qui s'était effilochée dans une partie de vie en bâton de chaise, sans attaches, adaptée à cette volonté de liberté exacerbée.

Autour du lit, le couple la regardait en silence, impassible. La bru n'avait jamais été vraiment acceptée par elle qui restait sans émotion. Le fils qui avait encombré le chemin de jeunesse de sa mère, la recherchait dans une émotion contenue.

Les amies que Raymonde l'avait éliminées inconsciemment. Elles ne sont pas venues lui rendre visite.

Une fidélité ratée dont elle devait, pourtant, attendre la visite pour constater sa détresse.

Erreur. Elle n'avait pas compris qu'il fallait donner de sa personne pour conserver et entretenir des liens avec les autres.

La meilleure amie de jeunesse, qui l'avait toujours comprise et acceptée, avait été emportée depuis quelques années par la maladie d'Alzheimer. Donc, il ne restait que des amies de passage.

Le lit d'hôpital, Raymonde n'aimait pas.

Ce lit l'entravait vraiment cette fois. Poings sanglés, impuissante, elle reposait attachée aux barreaux du bord du lit.

Les multiples efforts pour s'en évader, avaient poussé les infirmières à l'y attacher pour ne pas défaire les fils qui la relayaient au baxter.

Elle se réveilla. Sorties de la torpeur d'un sommeil toujours plus profond suite à la morphine, quelques paroles de lucidité perdues, venant de nulle part, sortirent de sa bouche. Elle espérait surtout être détachée de ses sangles. Rien d'autre ne la préoccupait.

Dire 'oui', c'était contrevenir à l'ordre de l'infirmière qui affirmait que cette fixation était nécessaire et qu'elle avait reçu tous les soins nécessaires.

Un dossier l'avait suivi dans lequel une infirmière avait dû y inscrire le souvenir des griffures que cette malade lui avait infligées sans intention de les donner. Sur son carnet de bord de l'hôpital, une mention spéciale explicitait cet antécédent qui l'avait poursuivie jusque là: "Personne qui a tendance à s'agiter sans prévenir".

La soulever et de l'eau pour étancher sa soif, ce fut la seule initiative permise...

Cette lucidité passagère lui avait probablement permis de faire un retour en arrière sur son passé. Un résumé d'une vie, en accéléré, dont elle n'avait plus le temps d'en rechercher les contours et les sources.

Des paroles sans véritable sens qui ne nécessitaient pas d'interventions.

Puis, cette question bizarre, adressée à sa bru:

- Et toi, es-tu contente de ton sort?

Question surprenante, prise à contrepied.

Que répondre, sinon par un sourire sans trouver le courage adéquat pour répondre en paroles.

Était-ce un reproche, des regrets, l'envie d'une autre vie qui s'éloignait?

Probablement, une constatation de son propre vécu qui, quelque part, reconnaissait avoir raté quelques marches dans cet escalier infini.

Puis, fatiguée, elle s'était rendormie, sans chercher à compléter une conversation sans issue.

Dix minutes encore, à rester dans le silence revenu de la chambre à regarder son léger souffle.

Voici le résumé final d'une dizaine de jours depuis cette sortie de piste dont les trois premiers en soins intensifs.

Le diagnostic officiel donné par le médecin, une hémorragie interne dans le ventre. Aux soins intensifs d'abord. Ce n'est pas par les mots "L'issue était fatale" que le médecin avait conclu. Le médecin ne parlait même pas de cancer. J'avais ajouté pour apporter un peu d'humour grinçant et pour décoincer la situation, la parole célèbre de Lapalisse "Un quart d'heure avant de mourir, elle vivrait encore". Celui-ci avait proposé le choix entre une fin rapide ou plus longue avec de la morphine comme seul sursis. Abréger les souffrances en régime palliatif et finir par la même petite porte. 

Le lendemain, un coup de téléphone. Une infirmière pressait le couple de revenir vers le lit, sans en dire beaucoup plus. Attendre un peu, pour s'accorder aux heures de visites.

Moins d'une heure plus tard, second coup de fil.

Le dernier souffle de vie l'avait quittée à jamais.

Plus d'urgence, pas de larmes, des dents serrées et le silence dans la voiture pour regagner l'hôpital.

Arrivée sur place, la chambre fermée, nettoyée et la mère détachée qui reposait sans plus demander son reste. La paix, la sérénité du lieu pour seul écho.

Un baiser? Le fils n'y pensait même pas, pris à contre-temps. Il effleura d'une main, le front qui refroidissait déjà.

La mort, un passage obligé, une étape naturelle, dont on ne s'habituera jamais?

Les dernières paroles de l'infirmière tentèrent de rassurer.

- Vous devez savoir, hier, elle nous a dit qu'elle voulait en finir.

Était-ce pour mettre un terme à des souffrances physiques ou de celles, plus morales, plus intimes? Pour elle qui repoussait, de dix en dix ans, cette fin, cette échéance, à chaque anniversaire, c'était surprenant. Était-ce un suicide moral? Dur de penser à cette éventualité.

De souffrances physiques, elle n'en avait pas connu beaucoup dans son existence. Elle considérait anormal de souffrir, ne supportait pas la maladie et encore moins, l'hôpital. Une fatigue plus morale que physique, donc, que la morphine ne pouvait remédier.

Têtue, elle voulait toujours arriver à ses fins.

Était-elle dépassée par les événements, par ses rêves de jeunesse?

Des questions douloureuses qui restaient sans réponses?

Épargnante à vide pour une "deuxième vie" comme un Pharaon mais sans jamais profiter du retour sur l'investissement, dans la solitude de ses décisions.

Même avec une potion magique, sans connaître les moyens de l'utiliser, c'était peine perdue.

Chemins tronqués de destins multiples et parallèles?

Une évidence, elle n'avait pas su vieillir. Ce n'est pas le lifting sous les paupières qui l'avait fait rajeunir. La machine était grippée par l'intérieur. Le temps n'attend pas et paraît toujours aller plus vite sur la fin.

Le lendemain, le fils retourna à l'appartement de sa mère pour prendre connaissance des personnes à contacter dans un vieil agenda qui n'avait pas quitté la table du salon.

Des coups de fils furent donnés à ceux qui s'y trouvaient. Des promesses de venir à l'enterrement.

Quelques jours, et bientôt, celui-ci arriva. 

L'attente dépassa l'heure fatidique du rendez-vous avant que le cortège funèbre se mit en route.

Deux couples sont présents. Les "enfants", comme elle disait, le frère et la belle-sœur de la bru.

Guy, plus personne avant, plus personne après. Dernier des mohicans. 

Sécheresse, tristesse d'une situation.

Le fils se jura d'en rechercher les responsabilités, de remonter le fil de l'histoire.

Là, « où je m'avise un peu troublé de l'irréversibilité du trépas », comme disait Bouvard dans son livre, imaginé en post mortem "Je suis mort et alors?".

Quant à une éventualité de culpabilité dans cette histoire de famille, cela n'avait jamais effleuré son esprit. L'enquête devait être plus fine.

"Mourir, cela n'est rien, mais vieillir".... chantait Brel.


...

02 - Découverte du pot aux épines

«Où je découvre qu'à la place du mort, je ne risque plus rien», Philippe Bouvard

0.jpgQuelques jours après.

Un début d'inventaire de l'appartement que la mère avait quitté, il y avait plus d'un an, depuis qu'elle avait s'était retirée dans un home pour vieillards.

Les épines firent oublier les roses jetées sur le cercueil dans les pensées du fils, Guy.

Un titre « A quoi ça sert d'avoir des enfants? » écrit sur le dos d'une enveloppe usagée, laissée par la mère, attira son attention.

"Des enfants"?

Le pluriel était surprenant, puisqu'il avait été unique et que son épouse ne comptait pas vraiment.

L'appartement de sa mère, il n'y allait depuis que pour récolter le courrier. Tout avait été laissé en état, prévoyant un retour toujours possible dans ses pénates.

Après ce titre, une liste est pointée. Une sorte de testament avant l'heure. Pas de lettre qui en ferait réellement office. Une liste de reproches envers sa belle-fille et son fils.

La conclusion à en tirer, elle aurait voulu avoir, en permanence, quelqu'un à ses côtés.

Normal, pourrait-on dire.

Mais, l'avait-elle fomenté, préparé? Puis, cela aurait changé quoi?

L'exploration du petit secrétaire, chargé jusqu'à la gorge, commençait.

Une véritable caverne d'Ali Baba mais sans les richesses habituelles que l'on pourrait trouver dans une caverne aussi célèbre. Un embrouillamini, un capharnaüm de documents, entassés, conservés pendant plusieurs années de manière aléatoire, de bas en haut, sur de multiples piles.

Mélange de photos, de publicités, de documents importants.

Tout valsa dans des sacs plastiques, destination le container. L'épouse ne voulait rien garder de souvenirs qui auraient pu lui rappeler un passé dont elle voulait tourner la page. Le fils, Guy, ne fit pas obstacle, malgré quelques hésitations devant les films 8mm, les diapositives.  

Un sourire, tout de même, à la découverte d'un vieux titre boursier qui avait été déclaré perdu, corps et biens, à la banque. Pas de quoi alerter un loup, tout de même.

Dans les semaines suivantes, cette exploration devint un vrai cauchemar pour élaguer et séparer le bon grain de l'ivraie. Aucune envie de jouer au vautour.

Cette invasion inappropriée se poursuivit, cachée à l'arrière des radiateurs sans concrétiser un éventuel but d'isolation!

Ce qui devait, légalement, être conservé comme "bon grain" ou passer dans les poubelles de l'histoire comme "l'ivraie". Rien que ces mots de "bon grain" fit sourire son fils.

Il a fallu s'organiser. Sur la table, tout scinder en petits tas, par année et garder des sacs en plastique sous elle. Vider les armoires. Les vêtements et beaucoup d'autres choses qui restaient encore valables, étaient destinés d'office comme dons aux entreprises de charité.

La bru fut sans pitié avec beaucoup de photos jaunies par le temps. Il y avait suffisamment de photos pour en ajouter des duplicata, disait-elle. Elle voulait seulement en finir et tourner la page. Ce fut la concierge de l'immeuble qui ne fut pas contente. "Vous auriez dû remplir un container et pas les poubelles de l'immeuble".    

Mais pour l'heure, il vint, instinctivement, à la pensée du fils, à la vue de tout cela, le message de l'abandon « à quoi ça sert d'avoir une mère? ».

D'autres paroles, des souvenirs du passé revinrent à la vue de quelques photographies du hasard dans la quête aux souvenirs.

Et puis une pensée terrible. La répétition du fait qu'il n'avait pas été le bienvenu à sa naissance, que si la pilule avait existé à l'époque de sa naissance, il n'aurait pas été là. Pas de doute à avoir, sa mère n'avait jamais reçu une vocation de mère dans ses plans de vie.

La fibre maternelle ne l'avait jamais beaucoup égratignée et son fils avait, à la longue, creusé son propre sillon en parallèle.

L'un espérait quelque chose que l'autre ne pouvait donner et vice-versa.

On n'apprend pas à être parent à l'école et cela il faudra s'en souvenir pour le reste de l'histoire.

Son fils, elle l'avait créé, ensuite, sans vraiment le ressentir, à son image, comme un copier-coller de son insensibilité, de son incompréhension.

Ils étaient devenus semblables comme deux électrons libres qui gravitent autour d'un noyau, se croisent, mais ne fusionnent jamais contrés par la répulsion électrique de même signe. Une répulsion qu'il faut vaincre en brisant trop de forces en opposition.

La fierté avait infesté les deux vies dans des malentendus et des occasions ratées pour se changer en batailles stériles et sans contacts chauds sinon, dans des moments forcés. Une recherche d'affection destinée exclusivement à l'extériorité, pour l'image qu'on voulait en donner. Chacun n'avait ni la clé, ni cherché le trou de la serrure qui permettrait d'entrer dans le monde de la sensibilité.

Était-ce une répétition d'une version précédente dans les générations d'avant?

Raymonde était fille unique, aussi, mais, désirée, elle l'était. Son fils unique, Guy, seulement assumé, mais pas désiré.

La vie s'inscrit à la mesure et souvent, à la démesure de ses interlocuteurs.

Bien plus tard, son fils fut considéré comme son «bâton de vieillesse».

Dans un autre espace-temps, lui, il n'avait pas reçu, en échange, le don de son « bâton de jeunesse ».

Dans l'esprit de cette mère, sa bru faisait obstruction dans ce "travail de maintenance" et était restée comme une "étrangère" voleuse d'une chance que son propre accomplissement final, elle s'était réservé en secret.

Une attirance fictive se greffa sur ces non-dits alors que le seul souci résidait dans la recherche d'une fausse réussite sociale. Un telle envie sans l'investissement, c'était toujours s'y perdre au change.

Toujours aller plus loin vers ce qu'on croit être mieux, crée un déséquilibre sans sérénité, saoule d'envies à en devenir groggy. Cette mère avait vécu sous le seuil de pauvreté tout en étant assise sur un coussin doré qui grossissait progressivement sous ses pieds comme un véritable lot de souffrance maladif.

Le fils s'était formé, seul, en autodidacte, sans conseil.

L'enfance, il s'était empressé de l'oublier. Elle lui revenait par bribes de mémoires à la vue de ces photos avec des souvenirs racontés, malaxés par sa mère, avec, souvent, une touche d'humour collée au fond d'une bouteille qui se devait d'être d'un "grand vin". Tous ces souvenirs, une fois analysés, revenaient pourtant comme des échos dans une critique plus dure avant de valser dans les poubelles de l'histoire. 

Pourtant, il y avait eu les visites hebdomadaires des "enfants". Des visites qui avaient subi progressivement une déchéance du côté "contacts" pour devenir sans intérêts, résumés par le passage devant un écran plat de télé après un autre, plus bombé.

La vision de l'actualité et de la violence n'avait chez elle qu'une conclusion très simpliste, toujours la même de "Mais, pourquoi y a-t-il la guerre?".

Un film qui aurait pu faire rire un citron, n'apporterait qu'un vague sourire sur ses lèvres de mère, sans probablement avoir compris le fin mot du film.

A y réfléchir, personne dans son entourage ne se rappelait de l'avoir vu s'éclater dans un rire fou, de bon cœur ou non. L'humour ne se comprend pas au premier degré.

Les livres qui auraient pu donner des sujets de conversation, avaient disparu de son environnement, alors qu'elle aimait lire dans le passé.

Visites rituelles hebdomadaires, sans préparation, dans la monotonie des relations.

Tout devait être importé, le rire, la forme mais, aussi, la pitance.

Visites, pourtant, cadenassées dans le calendrier. En échange, sous l'assiette vide, des documents destinés à la lecture et aux bons soins de son fils. Documents qu'elle n'avait pas pris la peine d'y attacher la moindre attention et dont elle espérait en recevoir le résumé et les décisions annexes à prendre. Il y a trop de papier dans le monde, voyons! 

Pour l'expliquer la pitance manquante, il y avait ces paroles adressées à son fils:

- Je ne sais pas ce que tu manges. Je préfère que tu apportes ce qui te plait. Je payerai.... Non peut-être...

Amusant, pour la surprise, on y repassera. Et puis, payer, les souvenirs ne fonctionnent pas dans l'immédiat... A cet âge, on ne se rappelle que des événements très anciens. 

Aller au restaurant, quand cela arrivait, pour trouver son choix dans le menu, Raymonde espionnait désespérément sur d'autres cartes que la sienne. Habitude qui ne datait pas d'un passé récent, d'ailleurs.

Des événements, ce furent des chutes à répétition, le gaz allumé, oublié. Le médecin traitant avait commencé à imposer une nouvelle marche à suivre, mais hors les murs de la maison. Un doute, un soupçon de ce qui pouvait se passer et ce fut le test d'Alzheimer. Pour compter, elle n'avait pas son pareil. 

Examen réussi de justesse. Un bon pour le service qui n'empêchait pas de se rendre compte de la décrépitude, de la descente dans un enfer construit petits pas par petits pas. 

Encore dans son appartement, une voisine de palier avait servi de passe-temps, de passe-murailles, peut-être. Le jeu de scrabble comme outil de relations était un bon exercice de mémoire et tout le monde applaudissait cette décision.

Ce lien se ternit quand il devint imposé à la voisine à qui Raymonde demanda une justification en cas de manquement de l'adversaire de jeu. On n'impose pas sa propre vie à d'autres à ses enfants et encore moins à des étrangers.

Un an avant son décès, chez elle, une chute sur un tapis et ce fut le col du fémur qui imposa sa réparation à l'hôpital. Une longue convalescence avait commencé. Trop longue en service de gériatrie, elle devait se consolider ailleurs. Les hôpitaux ne font pas office de maisons de repos. De plus, il n'était pas question de regagner ses pénates.

Dans la précipitations, ce fut la recherche d'une chambre dans un home pour vieillards que l'on appelle pudiquement "maison de repos" sans qu'il soit un "mouroir". L'un d'eux se présenta. Elle en connaissait les lieux pour y avoir joué aux cartes, plusieurs années avant, en visite à sa propre tante qui y avait fini ses jours.

Guy pouvait espérer ainsi que cela puisse s'accorder au mieux.

En principe, cela aurait pu être l'occasion de créer de nouveaux liens avec d'autres pensionnaires. Rien ne changea dans la durée.

Ne rien avoir à raconter, ne pousse jamais aux connexions pour meubler le temps. Les échanges de souvenirs de vie vont dans les deux sens. L'intérêt, ce n'est pas chez les autres, qu'il faut le chercher. Il faut, aussi, le créer soi-même.

Et râler n'est pas apprécié très longtemps.

Communiquer est-ce une affaire de spécialistes? Probablement et il faut avoir les moyens de sa politique.

Une anecdote croustillante, mémorable: une histoire de téléphone. Lors du transfert de téléphone fixe, de l'appartement au home, il s'avérait qu'il faudrait un délai pour que la ligne soit à nouveau opérationnelle à la nouvelle adresse.

L'idée de lui donner un portable vint.

Refusé d'abord, trop compliqué. Accepté, ensuite, de guerre lasse.

Bien expliqué, fonctionnalités bien décrites avec les instructions d'utilisation et dessins en support. Testé quelques fois, calmement, patiemment.

Tout était compris. Yes, Sir.

Le portable avec une carte de temps limité devint un jeu. Le fils put suivre de loin, ce qui se passait. Du moins, en partie. Quelques coups de fils lui arrivèrent.

-Allo, Maman. As-tu des problèmes? Que se passe-t-il?

Pas de réponses à l'autre bout. Un bruit sourd qu'il y avait quelque chose qui se passait.

Coup de fil du fils. Même scénario mais en sens inverse.

Opération "connexion" se produisit plusieurs fois.

La visite en direct, qui suivit, fut encore plus surprenante.

-Tu m'as téléphoné, Maman. Tu avais des problèmes?

-Non, je ne t'ai pas téléphoné.

Comme complément d'informations, on pouvait faire mieux.

Un coup d’œil sur le compteur de minutes du portable. Il avait plongé et se rapprochait dangereusement de zéro.

Peut-être était-ce des conversations organisées avec l'au-delà? Mais de cela, le fils n'en avait pas l'indicatif pour pouvoir le vérifier.

Il fallait remplacer le portable par un fixe et d'urgence. 

Celui-ci arriva, enfin. Tout nouveau, tout beau. Guy était fier de le lui apporter.

Déconvenue. Il fut refusé net, sèchement. Le portable était bien suffisant.

Le pompon du ridicule. Aucune modification majeure à ce fixe, pourtant. Des disputes s'en suivirent sans fin.

Ensuite, ce furent des coups "très peu variés", pour dire toujours la même chose et se plaindre de quelque chose ou de quelqu'un. Disque rayé, en quelques sortes.

Cherchez pas, Docteur, tout est dans la tête de vos patients...

Puis, il y avait cette attitude froide qui se ressentait avec les infirmières pour compléter le tableau.

Par là, elle ne pouvait qu'enfoncer le clou de sa solitude où cela faisait le plus mal. Elle sécha les "cours" de l'apprentissage de la vie avec les autres quand il aurait fallu être présente.

Ce n'était pas la première fin dans un home à laquelle le fils assista.

Quelques années auparavant, il y eut avant celle de sa belle-mère.

Celle-ci avait compris toutes les finesses des règles du jeu des relations avec le personnel. Elle avait reçu une dernière visite, de leur part, pour son "grand voyage".

Une occasion ratée, dans ce nouveau cas.

Le moment «Où je profite du grand rafraîchissement pour rafraîchir la mémoire» du même Philippe Bouvard, dont Raymonde aurait pu faire son livre de chevet. 

...

03 - Le temps variable

"On dit que le temps change les choses, mais en fait le temps ne fait que passer et nous devons changer les choses nous-mêmes", Andy Warhol

0.jpgLe temps, une valeur très subjective.

Pour cette mère, le temps n'avait plus cours officiel. Il était devenu long, de plus en plus long.

A l'arrivée du fils...

-Alors, on ne vient plus me voir?
-Comment cela?
-Ben oui, tu n'es pas venu la semaine dernière?
-Ah, bon. Amusant.

Elle avait oublié ou plus vraisemblablement, le temps lui d'une semaine lui paraissait extrêmement plus long que dans la réalité. La conversation commençait mal. Des reproches et un sourire qui brillait par son absence. Le temps lui paraissait long. Elle n'avait pas appris à l'étirer minute par minute avec un minimum de partage avec son temps et son entourage.

Une nouvelle télévision à écran plat servait à lui faire passer les heures avec le plus de douceur dans cette chambre de la séniorie. Dans la salle de réunion, de petits groupes se formaient en permanence. Jeux de cartes et visites. Elle n'y allait jamais.

Le jour avant son dernier anniversaire, comme cela se fêtait tous les mois en groupe, le personnel l'avait averti que ce serait son mois de fête.

D'un air assez inquisiteur, comme si elle voulait lui apprendre quelque chose, elle dit à son fils de manière abrupte:

- Tu n'as pas oublié quelque chose?

Interloqué, alors qu'il savait ce à quoi elle pensait, une hésitation et une réponse en biaisant la question.

- Pourquoi, aurais-je oublié quelque chose?
- Et, mon anniversaire?

Vraiment surprenant, voilà qu'elle faisait attention à son anniversaire, se dit-il.

Puisque les souvenirs sont de retour, il embraya.

Quand vas-tu l'avoir?
On m'a dit demain et en plus on m'a averti que je prendrai part au menu du mois pour tous ceux qui ont leur anniversaire.
Mais quel âge as-tu?
80 ans, je crois.
En es-tu sûre?
Bien sûr.
En quelle année es-tu née?
Holla, ça, c'est il y a bien longtemps. Je ne connais plus l'année.
1920, Maman. Alors, cela fait quel âge?
Ben, 80, 81... 83, et puis, flûte, tu m'ennuies.

La conversation se termina comme elle avait commencé avec une certaine hargne non dissimulée.

Ce jeu de ping-pong, elle n'en connaissait plus les règles et la balle percée donnait toujours un bruit creux à la réception sur la table.

Il faut dire qu'elle avait du mal à compter les années depuis quelques temps. Avoir une volonté tenace de repousser les années dans son agenda, même si celui-ci contient une fin inéluctable, est normalement une bonne initiative, mais cette envie devient un boulet dans l'absolu sans en reconnaître les règles qu'elle entraîne.

Comme la jeunesse, il faut que vieillesse se passe, qu'elle se construise, même si cela peut paraître parfois, quelque peu réchauffé.

Les envies oubliées et le temps ne font pas le poids en marche-arrière quand un décor qui manque de couleurs, est planté depuis trop longtemps.

La perception du temps reste variable pour chacun en fonction de ses projets, de ses motivations à leur réalisation.

Dans ce cas, le temps semble se raccourcir avec l'âge sans projets.

Le temps est infini et se contente de passer.

Il sert de souvenirs du passé, mais se vit parfois durement au présent, tandis que le futur est à réserver à l'imagination.

Le temps n'est jamais perdu pour tout le monde. Le calme comme essence n'a pas de prix.

Pour certains ce n'est qu'une dimension. Pour d'autres, une dimension qui se paie rubis sur ongle.

Le temps ne se savoure doucement avec l'âge qu'avec son entourage quand il reste présent.

Lui réserver quelques pincées de douceurs, d'écoute et de réponses dans les échanges pour se retrouver comme Charles Aznavour le chantait dans  

Le temps des uns, le temps des autres....

Laisse moi guider tes pas dans l'existence,
Laisse moi la chance de me faire aimer,
Viens comme une enfant au creux de mon épaule,
Laisse moi le rôle,
De te faire oublier:
Le temps qui va,
Le temps qui sommeille,
Le temps sans joie,
Le temps des merveilles,
Le temps d'un jour,
Temps d'une seconde,
Le temps qui court,
Ou celui qui gronde,

(REFRAIN)

Le temps,
Le temps,
Le temps et rien d'autre,
Le tien le mien,
Celui qu'on veut nôtre,

Le temps passé,
Celui qui va naître,
Le temps d'aimer,
Et de disparaître,
Le temps des pleurs,
Le temps de la chance,
Le temps qui meurt,
Le temps des vacances.


(REFRAIN)

Le temps glorieux,
Le temps d'avant-guerre,
Le temps des jeux,
Le temps des affaires,
Le temps joyeux,
Le temps des mensonges,
Le temps frileux,
Et le temps des songes.

(REFRAIN)

Le temps des crues,
Le temps des folies,
Le temps perdu,
Le temps de la vie,
Le temps qui vient,
Jamais ne s'arrête,
Et, je sais bien,
Que la vie est faite,

(REFRAIN)

Le temps,
Le temps,
Le temps,
Le temps.


...

04 - Une entrée sur terre chahutée

"Il n'y a aucun remède contre la naissance et la mort, sinon de profiter de la période qui les sépare.", George Santayana

0.jpg Quelle idée de naître par une fin d'été aussi caniculaire? Une chaleur moite, à tordre les draps de lit, régnait dans la chambre de la clinique. Un bébé était né là, tout fripé.

Le « martien » avait atterri, un premier septembre. Un lundi matin, en plus... le lendemain d'un week-end. Le Zodiaque devait lui apprendre plus tard qu'il faisait partie du signe de la Vierge. A ce moment-là, de toute façon, il s'en foutait. Cela ne présumait rien de bon.

Une surprise pour les parents? Il avait pris les devants à une création de famille sans avoir été voulu, ni espéré. Sans être acclamé. Un banal "accident" de parcours voulu par la nature des choses. Une bête erreur de calcul, c'était tout. Un gêneur, quoi. 

Envers et contre tous, le «paquet» était là, au plus mauvais moment, conçu, à la sauvette, par une nuit froide d'hiver. Pas de petits frères ou de petites sœurs ni à gauche ni à droite. Pas d'ambition d'avoir un coéquipier. C'était déjà ça de moins à assumer par l'innocence parentale.

Le bébé, lui, ignorait tout de la situation, du comment il était là.

Raymonde, la mère dormait, probablement épuisée par cette journée d'efforts où elle aurait aimé être dans un ailleurs plus réjouissant.

Deux ans après la grande guerre, les choses devaient pourtant aller mieux. C'était écrit et ressenti partout à la sortie d'un tel désastre. Mais des séquelles subsistaient, indélébiles.

Comment avait-elle pu la passer cette période de guerre? Période probablement pas très sucrée, alors que pour elle le sucre était devenu plus tard une raison de vivre, comme elle le répétait bien souvent.

La guerre l'avait-elle fait dévier de sa course?

Né sous une bonne étoile pour l'amateur de vin, en cette année 1947, mais, le bébé était loin de rêver à ce breuvage des rois. Il espérait autre chose. 

Dans une couveuse, à deux pas de la chambre, il n'était pas avare de pleurs. Une envie naturelle qui s'exprimait. Une envie dans le regard.

Le lait suffisait amplement à ce bébé qui était prêt à ameuter un escadron de laitiers. C'était vache de réveiller sa mère pour l'occasion du ravitaillement, mais il le fallait. Personne pour répondre. Il continua, le regard fixé derrière ses petits yeux froissés et humides.

Comme personne ne venait au secours de sa soif, le bébé changea de rythme et de niveau sonore. Un peu de stress, cela donnerait des ailes à l'entourage, pouvait-il penser.

Mais, l'écho aux lamentations ne vint pas de l'intérieur de la chambre. Une infirmière surgit de derrière la porte mi-close.

Celle-ci avait manifestement l'habitude de regarder du haut du berceau avec les yeux attendris et le sourire qui ride les lèvres de tendresse. Premier regard d'une terrienne, croisé sur celui de ce bébé en perdition. Elle l'agrippa entre ses bras d'experte avec la délicatesse et la justesse de l'habitude. Jugeant qu'elle devait apporter le « colis » dans les bras de celle qui en avait les droits, elle l'emporta et secoua la mère d'une voix ferme tout en gardant une douceur toute particulière pour ce qu'elle détenait dans les bras.

- Alors, madame, on n'est pas intéressé par ce beau petit garçon?0.jpg

Un grognement précéda un vague sourire mi-figue, mi-raisin sur le visage de la mère. Le bébé, lui, n'était pas là pour s'en plaindre. Il avait réussi son coup.

La mère, jolie d'habitude, avait les cheveux en bataille et les yeux mi-clos ne parvenait pas à donner plus d'entrain à la situation.

L'abreuvoir se découvrit, ce sein providentiel suffisait. Le bébé aurait eu envie de remercier la messagère s'il savait ce que remercier voulait dire. Les pleurs s'arrêtèrent net.

L'infirmière se confondit en excuses avec le sourire de l'emploi mais ne quitta pas les lieux tout de suite pour assister à la scène qu'elle avait dû voir des centaines de fois.

Le père, lui, n'était pas là pour compléter le tableau de la famille heureuse et réunie. Il n'avait pas assisté à l'événement comme il se fait souvent aujourd'hui sur demande. 

Comme il faisait chaud, le bistrot du coin avait dû aussi l'attirer comme une sirène de la soif ou alors, c'était pour fêter dans une fausse joie, avec les copains, ce qui n'avait, peut-être, été aussi qu'un mauvais coup de la nature à ses yeux.

Aucune chance d'arriver au bout de l'envie du bébé.

La mère avait très vite jugé qu'elle avait assez donné et qu'elle était en droit d'espérer une récupération pour ses efforts de la nuit.

-S'il fallait avoir un enfant, pourquoi ce fut un garçon? devait-elle se dire secrètement.

Cette nouvelle restriction ou la porte qui s'ouvrit, redonna l'envie au bébé d'entonner une nouvelle sérénade dans le même registre.

Le père entra enfin. Il vit le bébé pour la première fois avec l'air un peu ahuri. Un peu éméché, il n'avait pas assez d'expérience pour pouvoir juger la situation.

L'infirmière décida de quitter les lieux pour laisser le champ libre aux ayant-droits.

- Je vous laisse en famille. Je suis sûr que vous avez des choses à vous dire, dit- elle.

Mais l'électricité du contact parental était dans l'air. Il ne provenait pas du soleil qui plombait la chambre en cette fin d'été.

- C'est à cette heure-ci que tu rentres pour voir ton fils?, dit la mère.

Voilà, le genre de reproches qui sortaient d'entrevues chez les « grands ». Ils se répéteront souvent dans les mois qui devaient suivre.

Le bébé n'en avait cure. La mère comprit que la discussion ne l'intéresserait pas et commença des bercements maladroits. Cela l'apaisa et il s'endormit très vite. Il n'allait tout de même pas s'excuser d'avoir généré tout ce remue-ménage.

Dans le monde des grands, on aurait pu appeler cela du "PNAPD", du "Préjudice de Non-Assistance à Personne en Danger" mais ici, c'était plus du SOS, du "Seins hOrs Service".

1947, une époque pendant laquelle, les bébés, on allait à l'hôpital pour les acheter qui arrivaient dans les choux, mais que l'on présentait dans des pouponnières en rang d'oignons. Les familles nombreuses étaient ... nombreuses.  

Découvrir les autres et leurs envies, il en avait bien le temps.

Pas tristes, nécessairement, ceux-là.


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05 - Les racines et leurs hiérarchies

« Chez ces gens-là... D'abord, il y a l'aîné... » (Jacques Brel)

0.jpgAvant d'aller plus loin, remontons le fil du temps.

Une façon de passer en revue les boutons et les fleurs qui ont généré le fruit au bout de l'arbre. Du côté maternel, du moins, de l'autre, cela resterait trop vague.

Pas de procès de situation, ni d'intention. De simples constatations avec le recul du temps.

Une arrière-grand-mère, une matriarche, vivait encore quand ce bébé, Guy, se mit dans la file en bout de course. Le dernier mari de cette matriarche n'était que le «suivant» d'un autre épisode plus lointain, perdu dans les mémoires.

Tous deux avaient pris la piste aux étoiles. Le premier mari n'avait fait que passer, emporté par la maladie. Le suivant ne fut pas plus persévérant dans la durée. En ce temps-là, pour survivre, une femme ne tardait pas pour combler le trou d'un absent. Avec une famille nombreuse, il fallait assumer en répartissant la charge.

Plus personne pour en conter les détails. Seulement quelques bribes de révélations sont passées à la postérité. Avoir un arrière-parent à cette époque était relativement rare. L'âge limite était bien plus bas.

En comptant les années, le départ, la naissance de cette matriarche nous mène en janvier 1867. Cette matriarche aurait pu probablement écrire une biographie bien plus longue que celle-ci. Mais écrire à cette époque n'était réservé qu'à des privilégiés. Elle décéda à 92 ans. Se rappeler d'elle ne fut aucune difficulté.

Des cheveux blancs très touffus, ébouriffés entouraient un visage qui exprimait le calme et la gentillesse sur lequel s'étirait un sourire figé. Aveugle, à la fin de sa vie, elle ne quittait plus le fauteuil dans la maison d'un de ses fils. En ce temps-là, on ne parlait pas trop de home pour vieillards ou de maison de repos. Des hospices, peut-être, mais ils n'avaient ni bonne allure, ni bonne presse et les familles les évitaient en se partageant la tâche parmi ses nombreux membres. Les uns hébergeaient et les autres en visite apportaient la participation aux frais.0.jpg

Huit bouches à nourrir, une famille comme une autre pour l'époque, entre le marteau et l'enclume, à assurer la postérité par la quantité dans l'espérance d'un peu de qualité par après. La génération suivante avait manifestement une certaine admiration pour la "vieille" devenue, à l'unanimité, la « bobonne » de chacun.

Sage, elle avait assumé une philosophie de lignée par l'habitude de l'obscurité. Autour de la grande table familiale, deux filles du premier mariage avaient un nom différent des autres.  Quatre autres filles et deux garçons qui se bousculaient avec des âges en bataille. Tout cela, à y réfléchir, ne devait pas se "digérer" aussi facilement.

Imaginons un scénario par des suspicions des caractères en présence. Au départ, tout est en commun, mais, bien vite, les caractères s'affirment, ne se partagent plus les mêmes espaces et les mêmes envies. La formation intellectuelle très limitée des deux garçons ne pouvait égaler les envies d'élévation du niveau social des six autres filles. Les études étaient réservées à d'autres classes. Donc, il fallait sérialiser et trier.

Pour les garçons, il s'agissait de réserver un avenir meilleur pour la génération suivante et se contenter d'en rêver dans de bons mariages, pour les filles. Ce rêve par une alliance maritale, se concrétisa pour la cadette, Caroline, qui éleva ainsi son niveau intellectuel et financier. 

Mais, comme maîtresse de musique, la matriarche avait gardé les notes de la symphonie en « ut » majeur avec la baguette en main. Les tâches distribuées se faisaient en dégradé pour suivre le droit d'aînesse avec une force de persuasion sur une échelle d'intelligences à plusieurs échelons.

Les matamores féminines s'installèrent et imposèrent, en douce, leur emprise. Les forces étaient quadrillées dans des mains féminines avec un féminisme avant l'heure. Les deux frères n'avaient pas le poids ni la préséance due au sexe. 

Deux d'entre elles vont alimenter plus particulièrement cette chronique. Les plus charismatiques, probablement. L'une d'elle, Julie, arrivée en deuxième place, était la grand-mère du bébé, Guy, de l'histoire. L'autre, Caroline était ce qu'on appellerait la "grande tante" par convention. Huit ans entre chacune d'elles. Le Ying et le Yang. Les autres filles n'étaient que des rôles de seconds couteaux.

0.jpgLe préfixe «arrière» n'avait pas cours. Cela aurait pu rendre les intéressées plus vieilles qu'elles ne voulaient être. Pour conforter leur statut, c'était se sécuriser par un mari prêt à accepter leurs revendications et suffisamment souple pour ne pas en laisser trop de désagréments conflictuels dans leur couple.

La première, la grand-mère de Guy, mériterait un chapitre à elle seule.

La suivante, bien que peu instruite, choisit, donc, l'"aristo" pour mari, reconnu  comme l'officiel intellectuel de la famille qui allait sur demande remplir les documents administratifs. Une photo prise dans l'environnement du couple suffit pour exprimer la recherche de prestige qui s'en dégageait. Un tableau prônait au mur avec un ancêtre encore plus ancien. Pas grand en taille, mais tellement grand en esprit, pour le mari, pouvait-on penser. Partiellement vrai. Celui qui portait la culotte n'était pas celui que l'on pouvait croire.

Les deux sœurs jouèrent, très vite, dans une compétition de Reines, avec des Rois consorts en arrière-plan ou, peut-être, était-ce des combats entre poules de la basse-cour. Tout était programmé sans titre de vainqueur après les batailles. 

L'amour s'étiole devant de seuls intérêts. Les caractères finissent toujours par s'aigrir dans ce jeu du "à qui perd, gagne". Les années passèrent parfois entre des rapprochements salvateurs mais restaient bien loin d'une grande famille sans arrière-pensées. Une famille éclatée dans une seule ville, mais à des adresses de communes qui ne justifiaient pas les rapprochements. Pas de grands rassemblements familiaux pour une fête de Noël, sans prendre de risques.

A cet âge vénérable, fière de sa grande famille, la «matriarche», vieille et aveugle, restait impassible dans son fauteuil. Elle comptait, probablement, en silence, les points sans intervenir avant de passer la main définitivement à la lignée suivante.

Fière, ma matriarche l'était, aussi, pour transmettre le petit cadeau au garçonnet réservé pour son anniversaire.

-Viens, ici, j'ai un petit cadeau pour toi, Guy, faisait-elle en tendant la main dans le vide.

-Merci, bobonne,  lui répondait-il.

Cela s'arrêtait là.

Lui ne cherchait pas l'origine du présent, il acceptait avec le sourire. Ce fut, pour une occasion exceptionnelle, une version de "La Terre" de Larousse. Cadeau dédicacé par le grand-oncle, René, le mari de la cadette.

- Pour ta communion solennelle, en souvenir de ta bonne-maman, le 26 avril 1959.

C'était tout ce qu'on peut trouvé comme dédicace.

Sur ce grand échiquier de la famille, la roque était la protection initiale. Le pat, la meilleure sortie.

«Un ami qui vous connaît depuis que vous avez quatre ans vous connaît vraiment, tandis que vos parents croient seulement vous connaître.», écrivait Mary Lawson

0.jpgPour le "gamin", comme "petit soldat", des grands-oncles, il y en a eu deux principaux. Le vrai, René, et un apparenté, Léon.

C'était à tel point qu'il avait difficile à les nommer ensemble. Chacun d'eux avait, pourtant, joué son propre rôle, très spécifique.

Le «savant» de la famille, l'expert comptable, très philosophe, l'avait épaulé dans les interstices de la vie scolaire. Le conseillant très rarement, le dirigeant de loin dans ses choix de vie. Toujours prêt à écouter. 

Il subissait son épouse avec la fougue de quelqu'un qui se croit le maître à bord. De la mère du "gamin", Guy, il avait une phrase pour la décrire avec humour:

-"Tu sais ta mère n'a peut-être pas le sourire, mais elle a le sou rare".

Ce qui faisait naturellement sourire et qui disait beaucoup de vérités mais de là, à compenser l'un par l'autre, ce n'était pas garanti sur facture.

L'autre "oncle" fut celui d'«importation». Il avait un poste de secours pour sa grand-mère, Julie, quand il fallait un homme à la maison.

Dire qu'il était son second mari ne serait pas exact. S'il l'avait été un jour, ce ne l'était plus à l'époque où le "gamin" avait rejoint et l'avait vraiment connu. Il n'était plus là que pour combler un trou financier éventuel comme le ferait un pensionnaire. Hôte perpétuel, non providentiel, il pouvait combler les besoins sexuels très appauvris de la grand-mère. Sans succès, il était très souvent malheureux, devenu un autre Prince Consort ou qu'on sort à loisir.

Avec sa boule souriante, il n'en demandait pas trop. Un toit, un lit, une pitance et une serveuse pour remplir sa vie. Le corps n'avait plus le temps d'exulter. Un accord tacite dans un lit avec vue sur cour. Quand la satisfaction ne fut pas assouvie au niveau minimum, il passait à la case «boisson». Des disputes échauffent les veines mais pas les esprits. Bagarres avec les mêmes armes, les mêmes raisons, mais, avec des acteurs différents. Les retours titubants qui se succédèrent à un rythme soutenu pour créer une ambiance.

Pour Guy, il y avait deux "copains": lui et le vieux chien, un Loulou de Poméranie. 0.jpgTrès âgé, ce dernier, il ne voyait plus que des ombres, mais il ne perdait rien des «rencontres» et des échanges orageux.

Tout blanc, les oreilles bien dressées, au secours de sa cécité, ses aboiements n'étaient pas bien venus. Cela lui valait un petit coup de pied, adapté à l'importance de la colère de ses maîtres. Lui ne se posait pas trop de questions de savoir s'il faisait partie d'une famille. Intelligent, il le pensait instinctivement et accusait les coups avec des gémissements.

Son envie dans le regard, à lui, avait pourtant une moue bien plus expressive que sa vue déficiente.

0.jpgAvec Loulou, le "gamin" oubliait ainsi qu'il n'avait eu ni frères, ni sœurs, dans une sorte de romance qui n'arrive que dans les rêves.

La chanson de Maxime Le Forestier "Toi, mon frère" revient à l'esprit.

A chacun ses problèmes et ses solutions. Vu les âges importants atteints par les interlocuteurs, ceux-ci avaient eu le temps de s'attirer les meilleures.

A cette époque, pas vraiment de moments de repos pour les parents. Les vacances, ce furent des allés et retours à la mer par le train.

Un arrière-cousin qui est parti près de Montréal pour fonder sa propre famille Swenne, là-bas au Québec. Un départ précipité, suite à une autre histoire de famille.

Là-bas, ce fut d'abord l'exercice de sa profession dans un salon de coiffure suivant par un poste d'échevin dans la gestion de sa ville. 
En 1976, lors des JO de Montréal, ma mère a été les retrouver et il y a eu beaucoup de conversations par courriers successifs qui ne sont devenus qu'annuels pour souhaiter les vœux de nouvel an..
Dans les années 85-90, en tant que vacanciers, ils sont revenus en Belgique et nous avons eu beaucoup de contacts et retrouvailles.
En 1990, ma grand-mère décédait et les relations ont été rompues. Loin des yeux, loin du cœur, très certainement.

Naître en 1947, c'est faire partie du baby-boom. On signait par notre arrivée la paix retrouvée en attendant ce qu'on appellera plus tard, "les trente glorieuses". Si le bruit des bombes avait cessé, les tickets de rationnement étaient encore dans certains portefeuilles. 

La bicyclette était alors l'engin le plus utilisé pour se déplacer. A la maison, on allait dans la cave pour aller chercher le charbon pour réchauffer les appartements dans des maisons qui n'avaient pas l’ascenseur. Il fallait choisir parmi les biens de premières nécessités entre le sucre et les chaussures en cuir neuves. 

Le dimanche, c'était bricoler pour le père et la lessive de la semaine pour la mère. La radio et pas de télévision, bien entendu. 

La soupe au chocolat remplaçait la soupe au lait avec les bananes écrasées et du sucre.

Quand le pain prend des raideurs, c'est en pain perdu avec des œufs et du trempé dans le lait qu'il reprenait forme.

Le jambon blanc était le produit de luxe que l'on mouline avec le moulin-légumes qui a été acheté pour le persil. Une fois mélangé avec une purée de pommes de terre, cela faisait l'affaire.

L'hygiène, on verra plus tard. 

Les grands allaient souvent danser. Ce sont les trams ou le vélo qui menaient au bal populaire ou au bal improvisé dans un café de quartier.

Raymonde avait appris la sténodactylo et la sténographie méthode Meersman qu'elle utilisa jusqu'à sa mort. 

Pas beaucoup de voitures dans les rues. La première, bien plus tard, fut la magique DAF sans changement de vitesses pour Raymonde.  

A la suite de matriarcats successifs, sans machisme, on pourrait dire, aussi, qu'un ver ou, peut-être seulement, un pépin était déjà dans le fruit.

«Où il est question d'une famille dont les mamans portaient la barbe et les dames la moustache», comme le révélait Bouvard dans une autre vie.



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 06 - L'innocence aux mains vides

 "L'homme n'est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l'ange fait la bête.", Blaise Pascal

0.jpgLe couple était entré dans le moule de parents qui n'en connaissaient pas les règles. Un manque de passion de la mère, une ignorance du poids de la charge du père et des envies d'aller toujours ailleurs, devaient finir par se ressentir par ce "gosse" en formation, conçu par des amours mal ajustées aux réalités de la vie. 

Comme fils unique, il allait devoir trouver son chemin dans sa propre solitude, faire amende honorable, faire confiance aux grands et ne pas avoir des désirs démesurés ou trop personnels.

L'innocence s'était installée, incrustée chez ce "gosse". L'éveil se produisit avec plus de lenteur qu'on aurait pu l'espérer.

Né sous le signe de la Vierge, était-ce un présage à son innocence?

Une famille de matriarcats successifs, pourquoi en serait-il différent cette fois, alors qu'un garçon était arrivé pour briser une suite logique?

La mère se mit à reconstruire un rêve et ce garçon fut entouré de soins plus féminins.

Ainsi, il s'est vu «affublé» d'une mèche en boucle au-dessus de la tête pour mieux correspondre à l'idée. Des vêtements peut-être aussi plus roses que bleus complétaient le tableau mais les photos de l'époque, en noir et blanc, restent cachottières sur ces couleurs trop pastels pour sauver la situation.

Cette représentation plus féminine que masculine, le "gamin" ne semblait pas en tenir compte puisque le sourire se dessinait sans difficulté sur toutes ces photos. Tout était bon pour le dérider. Sentait-il d'instinct, qu'il pouvait y trouver un avantage? Ce n'était pas la mèche qui allait troubler ses envies plus intimes.

Le «teddy» en peluche, les petites voitures, le petit pistolet en plastique auraient eu plus l'art d'attirer son intérêt. Parfois, ils lui furent offerts. Un cadeau de la tantine, Caroline, qui n'avait pas eu d'enfant, un gros camion en plastique qui donnait du muscle à ce mini camionneur en fabrication...

La mère passa progressivement du rejet à l'attendrissement vis-à-vis d'une poupée, en ressentant la succession de sa propre image, de ses rêves intimes de sa propre jeunesse. Pas de complexe d’œdipe entre une mère et un fils. Non, sinon à l'envers.

Le père entrait et sortait. Il continuait à partager son temps avec ses copains. Les heurts, les engueulades dans le couple commencèrent à se succéder dans cet ensemble hétéroclite de conceptions différentes de ce qu'est un couple.

Qu'est-ce qui avait attiré cette mère et ce mari? Lui, plus petit d'une demi-tête qu'elle, elle qui pouvait avoir fait tourner plusieurs têtes d'hommes? Une énigme non résolue, restée comme un "accident" de parcours.

0.jpgEn dehors de ces moments de répliques orageuses, on raclait les fonds de tiroirs de l'incompréhension en silence. Les pleurs du gosse ravivent encore plus les éclairs dans le ciel.

Spectateur, Guy regardait sans comprendre les rounds de la force des "grands".

 "Il faut faire attention aux mots, car souvent ils peuvent devenir des cages.", disait Vola Spolin.

Il y a pourtant une véritable cage de perdition, même si les mots ne s'y prêtent pas. 

Après le berceau, les premières années du gosse se déroulent à l’abri de barreaux d'un "parc". Ce n'était pas un jardin, plutôt un entrepôt de jouets, de poupées, avec, au milieu, un ourson en peluche, le préféré, qui ne le quittait jamais.

Un parc ou une cage? L'escalader pour s'en évader quelquefois et vite retomber au fond, sur les fesses et l'envie en était passée en pleurant un peu plus que d'habitude. Au fond, il ne s'en plaignait pas trop d'avoir son "privé", même restreint. Il avait des avantages et quelques charmes. Cette aire personnelle était devenue le premier refuge à sa solitude.

Les grands bébés n'avaient pas trop droit au chapitre par les parents même s'ils se trouvaient en plein milieu de la pièce centrale.

Il avait compris que ce refuge, tout en y jouant un rôle de surveillant, restait sans risque par rapport à l'extérieur.

L'avantage du «parc», c'était l'endroit où les choses se construisent ou se détruisent.0.jpg

Protégé, le gosse ne risquait rien dans l'enclos en observant des étapes. 

Au-dessus de la tête, cette boucle de cheveux, finement tournée, lui gênait plus. Il ne savait pas pourquoi il l'aplatissait instinctivement. Lors de chaque bain, cette boucle reprenait sa forme en boucle. Pas moyen de lui donner son coup de grâce et lui rendre plus de platitude.

Après, faire cogner sur les barreaux de son parc avec force et ça passait. Les jouets, indifférents à leur fonction propre, rebondissent imperturbablement sur les bords de son chez soi.

La journée, la boutique de bijoux fantaisie occupait le temps de sa mère. Le diplôme de sténodactylo ne servait pas encore.

Le soir, elle vaquait à ses occupations de ménagère et préparait le repas. Les assiettes avaient été déposées sur la table. La table devait être prête pour l'hôte masculin de ces lieux.

Quand la porte d'entrée claquait trop fort, c'est que l'attitude que prenait le père n'avait plus à observer qu'un équilibre laborieux. Cela n'étonne plus personne. Les haussements de voix suivent toujours crescendo.

Le gosse hésitait, partagé entre continuer à jouer dans le parc ou à tendre l'oreille pour essayer de suivre les événements. Un bris de quelque chose qui tombe sur le sol et pleure pour calmer le jeu, voilà la technique à prendre pour calmer les ardeurs des grands. 

Comme si la mère tenait à être prise à témoin de cet événement, de cette dispute, le gosse se retrouvait dans les bras de sa mère comme une protection dérisoire, comme un bouclier entre le père et la mère. Cette soudaine affection attentive ne le rassurait pas tout à fait, mais c'était déjà gagné, on s'occupait de lui.

- Tu m'emmerdes. Je ne pouvais tout de même pas quitter un ami d'enfance, dit le père comme pour expliquer son état.

- Pourquoi ne l'as-tu pas emmené chez nous?

Pas de réponse.

Un jour, pourtant, celui-ci se retrouva dans un état assez désastreux. La mauvaise humeur de la mère, à la vue du résultat, confirmait qu'il avait dépassé certaines bornes. Il ne connaissait pas encore le goût du chocolat mais il en avait l'ersatz en bouche. Appréciait-il le goût plus que la couleur ou l'odeur?

Il fallut dès lors lui faire quitter les lieux pour le nettoyage. Gratifié d'un nouveau bain complet de plus que celui qui normalement faisait partie du vendredi.

Chance ou torture? Il devait trouver cela plutôt agréable, en définitive.

Prémonition de ce que la vie réserverait? Pas de doute, le chocolat restera bien plus fondant en bouche et pour effacer ce goût méritera une attention particulière. 

La journée est passée un peu plus rapidement et il s'endormit dans le petit lit qui jouxtait son parc.

Vu la fessée, son pragmatisme inné devait exclure la réédition de l'événement. Du chocolat pur et dur, à l'avenir, devrait avoir plus d'attraits, plus harmonieux et aphrodisiaques. L'envie du sucre, la mère avait dû le lui passer au travers de quelques gènes.

Un jour, ce fut la visite d'une amie de la mère. Elle avait deux fillettes du même âge.

Ce ne fut pas un conte de Noël, mais cela aurait pu l'être. 

Pour Guy, ce fut une découverte, une rencontre du "deuxième type". Bien entendu, le sexe ne l'avait pas titillé pour lui-même, mais il n'en distinguait pas encore les signes distinctifs.

A trois dans un espace plus réduit de la cage, les jeux commencèrent à la recherche des jeux inconnus des autres. Tout se déroulait dans une entente cordiale sous les sourires et rires des grands. A un moment imprécis, non prémédité, le "gosse" se mit à mordre la fesse gauche d'une des fillettes. 

Mordue, la fillette commença à crier, à chialer, à n'en plus finir.

Pas d'esprit cannibale, du tout, même pas un problème de sexualité précoce. Simplement, peut-être, trop content de faire plus ample connaissance avec cette rencontre fortuite par tous les sens disponibles.

La correction fut exemplaire. La mère des deux donzelles avait perdu le sourire dans la bataille. La bonne ambiance était perdue. La mère du gamin avait perdu le prestige qui aurait été conservé par quelques conseils de bienséance.

Les apparences sont trompeuses et parfois, diablement éclairantes dans la marche à suivre!

Histoire qui fut racontée avec humour dont le sourire, avec le recul, se perd toujours un peu dans les brumes de la réflexion.

Oui, au sujet de ses semblables, les conseils lui manquaient à ce gamin.

Les questions sexuelles n'étaient pas à l'ordre du jour ni à celui du lendemain.

L'éducation sexuelle n'existait pas plus à l'école. C'était un sujet tabou. On devait apprendre sur le tas.

Pas de partage de jeux.  Des parents qui rêvaient un peu trop ailleurs pour compléter le tableau.

Autre jour, autre sortie. Une kermesse dans le quartier. Un carrousel avec les chevaux qui montaient et descendaient. La musique lui plaisait, au gamin. Installé sur le cheval de bois, beaucoup de monde déambulait devant lui et ses yeux n'avaient de cesse de virer dans tous les sens. Quel événement ! Des chevaux de bois aux dents bien découvertes, aux couleurs étincelantes sous le soleil.

La cloche sonna et c'était parti, le moulin commençait à tourner et les chevaux  monter et descendre. Belle occasion pour pouvoir s'éclater. Fier comme Artaban, les jambes en folie, il secouait ce cheval qui s'obstinait à ne pas bouger, qui ne donnait aucun signe de contentement mutuel ou de rejet à son contact.

- Tiens toi bien droit et sert bien le cheval, criait la mère.

Pour le tenir, il le tenait. Personne n'aurait pu le faire sortir de son rêve. Pourtant, à un moment donné, celui qui semblait mener le moulin, commença à faire descendre un ballon avec une floche à son bout.

Quelle impudence! Comment pouvait-il casser son rêve et l'importuner de la sorte? L'impudent, il ne l'aura pas, le gosse repoussa cette gêne à chaque passage de la main. En plus, le "salaud" insistait à chaque passage à lui passer cette putain de floche de plus en plus près de son visage.

Enfin, un autre enfant la saisit. Sauvé. Il put souffler, enfin, et continuer, en paix, son aventure. Après un temps qui parut trop court, tout s'arrêta. Il devait descendre de ce cheval qui ne bougeait plus. Une envie de pleurer lui prit, alors que celui qui tenait fièrement la floche se préparait à un deuxième tour.

- Mais pourquoi n'as-tu pas tiré la floche? Tu aurais pu gagner ton second tour, disait la mère, déçue.

Les autres parents autour du moulin riaient de l'innocence en suivant le manège.

Cette floche du diable avait une raison d'être mais elle était tombée hors contexte. Il fronça les sourcils, l'air le plus intelligent possible. Une remontrance dont il ne se sentait pas responsable. 

Le lendemain, il aurait plutôt sauté sur le cheval que de la laisser passer cette floche, sans réaction. Le "meneur de moulin" recommença le manège avec la floche. Cette fois, elle fut capturée avec fougue.

La candeur avait besoin de plus d'attention pour trouver réponse.

Oublier les gêneurs et les aventures perdues avec cette énième leçon de vie.

La grande-tante, Caroline, qui n'était pas grande en taille, aussi, avait quelques prétentions dans ce jeu de quilles mal organisées en groupe familial. Celle-ci n'avait pas eu d'enfants et voyait une occasion d'occuper une place plus grande dans le cœur de sa petite nièce et du bébé qui suivait. Meubler son temps de femme de ménage et passer au "babysitting" avait tout l'art de lui plaire et lui remplir des moments de solitude en attendant le retour du grand-oncle.

Une autre compétition naissait, dès lors, en arrière-plan. Sourde et conflictuelle pour celui qui en regarderait le cheminement en séquence. Dans l'ombre, les deux sœurs avaient, toutes deux, un caractère bien trempé où les hommes avaient plutôt le deuxième rôle. Elles s'étaient jurés de prendre un morceau du "gâteau". La crème fraîche, elles étaient prêtes à la faire monter. 

Caroline, comme second fusil, y gagne des galons dans ce marchandage.

Pour le gamin, le principal c'est qu'il n'allait plus être seul.  On allait l'occuper. Il allait même sortir de son « parc ».

Après les petites voitures, le pistolet en plastique, des billes commencèrent à combler les trous de cet univers partagé.

Un jour, lors d'un repassage, Caroline laissa tomber, sur le sol, le fer à repasser dont elle se servait pourtant avec dextérité.

Il ne cherche pas à vérifier si celui-ci fonctionne encore ou non. Il se contenta de l'explication expéditive qui en fut donnée. « Il ne marcherait plus ».

Il ne fallait absolument pas en faire état auprès de l'oncle à son retour.

Un pacte fictif s'était établi entre tantine, Caroline et lui.

Fausse crainte, plus amusante que véritable.

Le soir, était-ce par souci de renseigner, il fonça de toutes ses petites jambes dans l'escalier en colimaçon à la rencontre du tonton.

Il fallait qu'il sache.

- Nononc, il y a Tetan qui a cassé le fer à repasser.

La perte du patrimoine familial lui était-elle si chère ou était-ce le refus du mensonge gratuit ou, encore, une marque de franchise dont il fera preuve bien plus tard, une fois affirmé?

Dans le dos du "gamin", le couple se mettait à sourire, très amusés.

L'innocence n'a d'autre nom que celui de l'impertinence.

Une anecdote lors d'une journée porte-ouverte pour les parents était même très caractéristique.

L'instit de 3ème, à l'école, essaya de parler de l'or. Cela ne pèse pas lourd. Cela pèse seulement quelques grammes, disait-il en montrant ostensiblement l'anneau à son doigt.

- Monsieur, monsieur, je sais... du jambon.

Sourires dans le fond de la classe parmi les parents qui étaient en visite.

L’hilarité générale dans la salle, évidemment. Et lui, étonné d'avoir créé une hilarité. Il a pris cela comme une réussite d'avoir fait rire.

Le "gosse" restait seulement sur sa faim, incompris. 

« Ce n'est pas tuer l'innocent comme innocent qui perd la société, c'est de le tuer comme coupable. » écrivait François René de Chateaubriand

Pour parler, le bébé commence plutôt par onomatopées ou par mots déformés.

Normal. Se faire comprendre au plus vite était nécessaire. Même les demi-mots valent toujours mieux que l'imprécision des «sans mots» et des gestes.

Ce furent des mots captés par l'écoute, comme le ferait un perroquet, mais non corrigés. Ces mots revinrent, bien plus tard, comme leitmotiv dans la bouche de la mère en référence au passé. Elle n'en avait retenu que l'humour dans une mémoire sélective qui ne retient que ce qui ne gène pas trop à la compréhension.

Le gamin voulait parler ou babiller mais cela aurait pu l'aider bien plus d'avoir reçu la correction de ces mots par un professeur attitré. Tout serait devenu possible, plus rapide et plus simple dans les communications futures.

L'innocence faisait partie de beaucoup trop d'interlocuteurs et des informations données à trop petites doses. Personne n'avait lu la posologie pour en découvrir les effets secondaires.

Ces constatations proviennent, peut-être aussi, de là "Où transparaît la nostalgie de l'époque dont tous les figurants étaient des vedettes". comme l'a constaté Bouvard.

Le rédacteur Akhenaton renchérit avec "Le calme pour essence"


 

Joie et tristesse s’interpénètrent
A la manière du regard intense de deux êtres, par une fenêtre
Éloignez-moi de la multitude pressée
Préservez-moi de la solitude stressée
Loin du métro et des gaz d’échappement loin
Du gris des bâtiments, du train-train et des coups de freins
La technologie était supposée me servir
Et non pas m’endormir pour m’asservir
Les valeurs de base ne sont pas si mal quand j’y pense
Je veux vivre simplement avec le calme comme essence

...

 07 - L'abeille et le papillon

« Où je comprends que ma caisse ne sera jamais livrée à personne », Philippe Bouvard.

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Les orages se préparaient à l'horizon, de plus en plus violents.

Voyant le drame programmé et les crises à répétition dans le ménage, les anciens acteurs se cachaient dans l'ombre, prêts à réagir dans leurs propres intérêts intimes.

La grand-mère, Julie, d'abord, voyant l'occasion de récupérer sa fille, appuyait ce sentiment d'inconfort du ménage. Elle exhortait de mettre un terme à ce mariage forcé.

- Cette fantaisie a assez duré. Il ne fout rien. Il est en permanence au café. Tu vas avoir des problèmes de plus en plus graves, lançait-elle à sa fille.

Pour elle, il fallait rentrer au bercail sous sa protection, comme avant. Elle se foutait bien si les conséquences d'une séparation pouvaient avoir un impact dans la suite.

Juste avant les 6 ans du gosse, tout se mit en branle pour casser ce qui n'aurait jamais dû exister. Une procédure de divorce fut mise en branle.

Si la justice, on la dit lente aujourd'hui, elle avait une allure de tortue maladive à l'époque.

En ce temps-là, pas de procédure de divorce en abrégé. Deux ans n'étaient qu'un minimum pour conclure une désunion même par consentement mutuel. Les procédures et les conditions de la séparation avaient été proposées pour que les choses aillent le plus vite possible. Ce fut deux ans, tous frais payés et racolages de part et d'autre compris. Aucune pension alimentaire payée par le mari ne fut réclamée, à la condition expresse qu'il n'essaye pas de prendre un peu du temps du gamin.

Aujourd'hui, cette solution ne serait plus possible, chaque parent ayant droit à percevoir un temps à partager avec l'enfant dans un couple séparé. La famille recomposée se produit plus souvent aujourd'hui, mais elle se recompose avec les deux sexes. Ce qui n'est pas nécessairement plus rassurant pour les enfants. 

Si le père avait résisté, un temps par orgueil, il avait dû sauter sur l'occasion pour que cela se termine.

A l'école, les institutrices avaient été drillées pour ne pas lui céder le "gamin" à un visiteur masculin à la sortie des cours. Une autre sortie de l'école était prévue pour quand cela arrivait et la mère était prévenue.

- Non, désolé, votre fils n'est plus ici. Il a quitté le cours appelé par sa mère, il y a une demi-heure, disait l'institutrice.

La rue devenait une seconde résidence dans l'attente. La grand-mère et la mère eurent quelques ratés dans le camouflage et des altercations mémorables, en rue, entraînent l'intervention de la police.

Inconscient, le gamin en avait ajouté une couche bien malgré lui par ses jérémiades.

Appelé au poste, la question de la police vint à destination du "gamin".

- Où veux-tu habiter? Chez ton père ou chez ta mère?

Dans la candeur, il avait répondu, mal préparé à ce genre de questions, de manière naïve.

- Chez ma mère et chez ma grand-mère, quand je vais chez la mère de mon père, je reçois à manger et j'en reviens toujours malade.

Kafka, enfant. Rien à en tirer de vraiment de très utilisable pour les oreilles d'un flic, mais cette réflexion était écrite dans le rapport. Une fois adulte, je me suis demandé ce qui me serait arrivé de différent si j'avais choisi de suivre mon père.

Au bout de ces péripéties, l'autre grand-mère, Julie, avait gagné.

Une nouvelle famille était formée ou reformée, la fille et le petit fils dans son giron protecteur avec à bord, deux générations de femmes, le faux "tonton", le Loulou et le "gamin" en arrière-plan.

Julie reprend son rôle d'abeille ouvrière, avec plaisir. Elle avait l'instinct maternel qui manquait à sa fille. A la mort de son époux à l'âge de 26 ans, elle avait dû redresser la barre et resserrer les boulons avec une fillette unique qui n'avait alors que six ans. L'expérience d'infirmière d'occasion, vécue après la guerre avec le mari souffrant des suites des gaz inhalés, allait resservir.

Pour se souvenir de ce grand-père inconnu, il y a une place au cimetière de la commune et un nom gravé dans un monument. Des douilles gravées avec le prénom de sa fille "Raymonde" en faisaient partie et étaient restées longtemps sur un meuble bien en vue. Rien d'autre de cette époque ne subsistait.

Julie n'avait jamais été favorable à l'union de sa fille et avait dans ses plans de mère de la récupérer avec le rejeton dont elle était la marraine. 

Pas d'instruction, seulement la force du poignet et un besoin de charisme pour relever le défi. Une pension de veuve de guerre qui seule pouvait adoucir une vie dure de labeurs dans de petits travaux d'entretien.

Julie, une personnalité bien marquée, tout en intuition féminine! Sans instruction, peut-être, mais une présence, un charisme formés par l'expérience. Tenir coûte que coûte sa fille à l'écart des privations d'une telle période était l'objectif. Sa fille représentait son capital.

Elle n'était pas seulement une abeille, elle était aussi une formidable conteuse.

Elle savait attirer une audience et aimait raconter son passé, alors que sa fille restait le plus souvent silencieuse en arrière-plan, admiratrice et l'appuyant pour confirmer quelques histoires vécues en commun. Chacune avait connu une guerre différente.

Julie n'avait que 14-18 ans pour parler de cette première guerre.

Raymonde, elle, en avait entre 20 et 25 ans. Un âge qui aurait permis d'avoir des souvenirs à raconter à la génération suivante. Ce ne fut pas le cas.

Longtemps après, à force d'entendre les mêmes histoires de Julie, cela semblait un peu réchauffé aux "informés". Tant que c'est un jeu de rôle, qui s'en plaindrait?

Cet instinct maternel de protection, d'amour n'avait pas été transmis dans la génération suivante, plus rebelle et qui était passé à la forme papillon en transitant par la forme chenille.

Il faut dire à décharge que Raymonde, sa fille, a eu l'amour maternel et l'absence d'un paternel. Ses désirs les plus fous sont comblés. Les leçons au sujet du sexe, elle ne les a pas reçues. Cela expliquerait peut-être, la suite mal assumée du papillon dans l'histoire.

Mariée, changement radical de physionomie avec un futur moins stabilisé. La valeur de l'argent et des valeurs liés à la finance prirent, tout à coup, plus d'importance. Les privatisations et l'épargne, sous toutes ses formes, avaient pris le dessus de toutes les préoccupations maternelles. Cette préoccupation tourna, plus tard, à l'obsession, à l'avarice. Le plaisir d'amasser, de thésauriser vient on ne sait d'où, quitte à en devenir désagréable pour ceux qui en dépendent.

Un œuf coupé en deux, pouvait bien servir deux fois. Une pour le blanc, une autre pour le jaune. Rien ne se jette dans ce monde-là. Le pain perdu n'a ce surnom que pour ceux qui n'y prêtaient pas attention. Pas mauvais, d'ailleurs, le pain perdu, à condition qu'il ne se répète pas à toutes les occasions.

Julie se demande souvent où elle avait pu apprendre ce genre de rationnement.

Le petit magasin de fausse bijouterie dont elle s'occupait, fut très vite cédé.

Le travail d'indépendante n'allait pas vraiment avec la vie de "papillon" qui demande de l'évasion à heures fixes.

Un jour, une opportunité s'ouvrit dans une banque. Elle y devint employée et une nouvelle carrière commença. Une nouvelle vie mieux organisée, avec des heures précises, sans comptabilité en fin de journée. Après le travail de la journée, elle pouvait recommencer à reprendre sa vie de jeune fille.

Le travail à la maison pour la maintenance, les repas de cuisine, de parrainage du fils était assuré par plus compétente qu'elle, à sa mère, Julie.

Pas de remariage en vue. Une sorte de pacte entre la mère et la fille s'était établi. La fille unique, choyée, n'y voyait pas vraiment d'intérêt.

Plus tard, le père, lui, s'était reconstruit une famille recomposée et avait eu une fille sans que personne ne cherche à s'en informer. Une demi-sœur pour moi, que je n'ai jamais vue. 

Au début, cette famille de femmes se retrouva ainsi au 2ème étage, d'une petite maison à appartements à Uccle.

Une ambiance désagréable entre mère et fille qui ne voyait la maison que comme un pied-à-terre, un tremplin vers un ailleurs qui allait devenir de plus en plus éloigné, s'infiltra dans le processus.

Les deux ou trois amants de Raymonde étaient tous des hommes mariés.  Une désolation pour ma grand-mère qui voulait que sa fille refasse sa vie dans les règles de l'art.

Ses amants étaient tous plus éduqués et plus intelligents qu'elle. Si le sexe faisait partie du jeu puisqu'il fallait que le corps exulte selon Jacques Brel, elle ne voulait pas laver les chaussettes d'un homme, selon son expression. Quand elle se faisait jeter par une concurrente, elle était prêt à défendre sa place de concubine qu'elle avait choisie. On ne savait qui profitait le plus dans cet échange de bons procédés. L'amant ou l'amante? 

Les voyages étaient, à cette époque, limités à une centaine de kilomètres.  

Au mieux, la mer du Nord accueillait les premiers vacanciers bruxellois. A la plage, Guy creusait un trou dans le sable pour construire son magasin. Il avait été ramassé des coquillages comme monnaie d'échange pour acheter et vendre des fleurs de papier de couleurs. 

Ces années-là étaient des années de communisme triomphant. La doctrine matérialiste qui faisait peur à la papauté, était-elle en passe de m'envahir? 

Dans le sable, on ne joue pas aux billes incrustées de belles couleurs vives comme à l'école. Les grosses billes agates ne résistaient pas plus pour faire sauter les billes des adversaires.  

Mais, on commençait à s'intéresser dans les sphères les plus privilégiées à des voyages plus lointains. Le rêve d'évasion se faisait sentir puisque le confort ne faisait plus tourner les têtes.

Le "papillon" voulait voler et voyait de nouvelles ambitions dans les voyages.

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Dans la maison, la locataire, à l'étage inférieur, avait des enfants qui s'étaient construits une vie au Brésil.

Des photos, des lettres parvenaient de là-bas et intéressaient le "papillon" au plus haut point.

Du rêve, encore une fois.

Le Brésil, c'est loin mais il y avait moyen, plus près, d'organiser ses besoins extraterritoriaux épris d'exotisme.

Pas d'auto, à cette époque. Le train permettait de passer à l'échelle supérieure d'un seul jet de fumée derrière les locomotives à vapeur.

Elle partit en éclaireur dans le sud de la France. Pas encore de Club Med mais quelque chose qui s'en rapprochait avec les rencontres au bout du chemin.

L'année suivante, le fils avait près de 10 ans.

Convaincre Julie ne fut pas difficile. Ce fut un retour ensemble au même endroit. Les trains roulaient encore à une allure sénatoriale faisant office d'omnibus.  Un tel voyage commençait vers 18:00, pour arriver à destination, le lendemain, tard dans l'après-midi.

L'avantage fut de voir le paysage qui défilait avec plus de temps devant des yeux écarquillés.

Les couchettes étaient chères. Il était dit que le "gamin" allait dormir dans les filets du porte-bagages. Première expérience, avec les filets du porte-bagages dans les côtelettes, pour assurer un semblant de sommeil. 

La jeunesse permet tant de choses. Pour les adultes, c'était le sommeil à force de persévérance sur les fauteuils de la banquette, payés à l'avance. Cela évolua vers les trains à couchettes dans l'année qui suivit.

Tout le confort dans la lenteur. Le charme du voyage, en somme. Le bleu azur de la mer Méditerranée apparut enfin et m'a débarrassé de tous les résidus de pensée morose. C'est dans son eau que j'ai appris à nager. Enfin, plutôt à ne plus avoir peur de l'eau et d'y plonger la tête avec un masque de plongée connecté et surmonté par un tuba avec une balle de ping-pong pour empêcher l'eau d'y pénétrer. 

Ce fut le détonateur du goût personnel pour les voyages pour le "gamin" dans son futur comme un véritable virus...

Deux ans après, ce fut l'avion. Un DC4 flambant neuf. On ne parlait pas de tourisme de masse à cette époque. Cela ressemblait plus à de l'exploration. 

Bien loin des charters et encore moins des low-costs. A bord, tout était bon pour satisfaire cette nouvelle clientèle. Les repas étaient réellement des repas chauds et savoureux.

Puis, il y a eu des excursions. Le gamin avait pris l'habitude de prendre un petit cahier dans la main pour l'occasion. A la traîne, derrière le guide, il buvait ses paroles et notait tout comme paroles d'évangiles, réservées vers le rêve et des moments de grâce pour les rassembler. Le guide, lui, se prêtait au jeu et répétait quand ce jeune "étudiant en herbe" perdait le fil. 

La soif de nouveautés, l'envie de traverser le monde, s'incrustent en lui. Les destinations à la mode se chevauchèrent. La Méditerranée et ses îles, entrent dans les destinations privilégiées. Les avions à hélices se succédèrent pour monter à l'assaut du ciel avant que la Caravelle et d'autres avions à réactions, ne prennent le relais. 

Et puis, il fallait immortaliser tout cela.

Le cinéma en 8mm, le Super 8, les caméras de plus en plus perfectionnées, défilèrent dans ses mains au grand plaisir des deux générations de parents qui allaient se construire des souvenirs par l'intermédiaire du gamin.

Juillet ou août, pendant trois semaines, un rythme qui allait devenir un rituel pour cette famille.

L'adolescence approchait à grands pas. D'autres envies de l'âge aussi. Puis le temps a passé. Le gamin a grandi, s'est marié... Plus rien n'était comme avant.

En 1990, l'abeille meurt des suites d'un col du fémur brisé. Drame pour la fille qui, comme papillon, avait perdu son égérie et voulait encore voler.

En 1993, son fils avait planifié un voyage vers l'ouest américain. Sans rien demander, elle alla s'inscrire à l'agence de voyage pour faire partie du même voyage.

"Ce serait le dernier grand voyage que je n'osais pas entreprendre seule", disait-elle, comme pour expliquer sa décision et sans se disculper.

Le couple avait "digéré" sa présence. Pour l'occasion, le papillon voulait bien devenir l'abeille pour produire le miel.

Oui, j'irai dimanche à Orly... sur l'aéroport, on voit s'envoler des avions pour tous les pays...tout l'après-midi...  y a de quoi rêver...

Comme tout semblait pour le mieux dans le meilleur des monde, qui oserait s'en plaindre? Surtout après coups...

Les voyages n'avaient rien à voir avec l'histoire de l'abeille et du papillon comme le chantait Henri Salvador.

Quant aux envies, elles restaient dans le regard différent de chacun.


...

08 - Salauds d'adultes

« Où je déplore d'avoir perdu la vie et conservé mes obsessions », disait Philippe Bouvard dans une telle situation, lui qui n'a pas atteint le niveau du bac.

0.jpgTout avait bien commencé. L'école primaire pour le "gamin" apporta une découverte: une envie d'apprendre, de connaître père et d'approcher le monde par l'intermédiaire d'autres enfants.

Une enveloppe dans cette envie d'apprendre et une relation d'amitié avec ses institutrices féminines au départ, masculines ensuite, n'étaient pas fictives.

Les places d'honneur sur le podium lui étaient, dès lors, réservées. L'éducation semblait automatique. Elle avait intérêt à l'être puisque sans secours parallèle à la maison. La confiance régnait de ce côté et personne n'y ajoutait mots ni actions.  Les examens n'étaient que de simples formalités. A la suite de bons résultats, en premier de classe, un des instituteurs invita les deux premiers de la classe, à la campagne, dans la ferme de ses parents. Le gamin en faisait partie. Ce fut une découverte.

La sexualité des animaux, d'abord.

Là, il découvrit la vie de ferme et toutes les joies annexes de se mesurer avec les animaux inconnus par lui. Il ignorait tout de cette vie de campagne. La compagnie des chèvres, des cochons et des vaches, le goût du lait crémeux que l'on venait de traire encore chaud dans les grands bols. Tout cela lui était inconnu. Il y eut même des batailles avec les pis de vaches qui s'organisent dans la joie de l'ignorance avec l'autre élève de la partie. Vraiment, plus amusant que les pistolets à eau.

Remontrance amusée des grands, bien sûr. Mais un régal de ce lait crémeux, encore chaud dans le bol, le soir, assis ensemble autour d'une grande table familiale, était tout aussi nouveau avec les sourires d'usage dans un couple soudé de gens d'un âge certain que l'instituteur regardait en coin d'un regard amusé. Les images collent encore à l'esprit.

Le retour et la vie de tous les jours entre les deux femmes qui jouaient des rôles mal attribués, reprennent ensuite un cours plus cadenassé dans des préjugés.

Gynécée trop peu en concordance avec la formation complète d'un garçon.

Côté positif, s'il en est, il n'y a pas eu après de séparation, de déchirure d'enfants balancés de parent à parent, telles que la vivent les enfants d'aujourd'hui.

Pas de père, pas de soucis, pas de renforcement du caractère masculin non plus. Les travaux manuels et le foot à la maison, interdits par la gente féminine. 

Le flou artistique du côté d'une explication qui avait dû se produire quand le "gamin" se posait la question de savoir pourquoi il n'y avait pas un père qui venait le chercher à l'école. Du père, personne n'en parlait ou de moins en moins, jusqu'à en ignorer son existence. Il fallait effacer l'ignominie, la dissoudre dans les esprits. Aujourd'hui, il restera une énigme pour moi, quel était le job de mon père? Qu'avait-il étudié à l'école? 

Le père alla dans un ailleurs et dans un autre temps, fonder une autre famille et donner une demi-sœur que, le fils initial n'a jamais rencontrée. Une sœur, même à moitié, qu'il aurait, peut-être, aimé... qui sait?

Mais elle a été perdue avec ses propres envies et aventures. En général, le père ou la mère apprennent à leurs enfants ce qu'ils ont enduré pendant la seconde guerre mondiale. Dans mon cas, ils avaient tous deux une vingtaine d'années. Dans mon cas, ce fut le néant absolu si ce n'est que ma grand-mère n'avait pas compris que sa fille, une fois avoir quitté le giron de sa mère, parvenait de couper la consommation d'un œuf en deux épisodes.    

Pour moi, le fait de ne plus avoir de père à la maison avait pourtant un effet pervers pour un garçon. 

Dans la liste, l'envie de voir du sport à la télé, le fameux foot, de se lancer dans le bricolage, des actions qui s’évaporent de l'éducation du garçon aux côtés de ses deux éducatrices de remplacement. Le foot, la bière à table furent simplement prohibés avec une réaction, « anti-père ». 

- Je ne vais pas te montrer ce que ton père aimait, aurait pu penser sa mère. Pas sûr d'ailleurs qu'elle ne l'aie pas dite, cette phrase.

Il fallait se raccrocher à la vie de tous les jours.

Mais, tout allait bien du côté des études primaires. Analyser la situation était une préoccupation secondaire.

La religion pour lui mériterait un chapitre à lui seul. Comme il n'en fait pas partie, un résumé suffira.

Baptisé de l'Église catholique, mais sans conviction, il avait bien plus d'idées ailleurs que de vouloir s'y astreindre à des moments trop répétitifs. Le catéchisme pour la communion solennelle lui a permis plus de s'amuser à se promener en aube que faire la noce avec n'importe quel dieu.

En arrière plan, sa mère avait vécu un épisode qui devait l'avoir marqué à jamais pour ne pas le pousser dans cette voie.

Le grand-père s'était engagé à la guerre en 1914 et était revenu malade des suites des gaz. Il en a souffert pendant plusieurs années. Ayant vu les curés qui bénissaient les soldats partant à la guerre, il était devenu mécréant.  Cette conviction l'a suivie dans sa descendance. Sa fille, non baptisée. Après sa mort, voyant arriver la période de la communion pour elle, la grand-mère s'en inquiéta. Il fallait faire comme les autres et donner à sa fille cette communion pour qu'elle ne puisse pas être mise au ban de la société. A neuf ans, sa fille n'avait pas été baptisée et elle envoya sa fille chez une Comtesse qui lui inculqua les douces histoires de la Bible et lui imprima une peur de Satan à lui faire perdre toute raison.

- J'ai des diables dans le corps, maman, devait-elle dire au retour.

Tout se calma ensuite. Remise sur les "rails", le baptême eut lieu. Sa fille en garda un très mauvais souvenir. Ses cheveux, fraîchement coiffés, avaient perdu l'attrait qu'ils auraient dû garder pour l'occasion de ses neuf ans sous l'eau du baptême. Souvenir impérissable, de multiples fois raconté. Plus question de s'attarder dans les bénitiers, pour elle et sa suite.

Retour au gamin qui grandissait. L'étape suivante, ce fut la grande école. L'athénée pour garçons et le mycée pour les filles. Elle ramena les songes sur un espace plus terre-à-terre et moins artistique.

L'athénée n'est qu'en principe, un élargissement de l'école primaire, qu'une suite logique, dit-on. On le pense, mais c'est faux.

C'est un bond bien plus important, plus stratégique. Cela se résume à une fusion de passages plus étroits avec un choix à y faire, à la clé.

Choix d'orientation préalable, argumenté seulement par quelques intuitions, quelques aptitudes mais sans orientation scolaire et sans l'aide par l'intérieur de la famille. A cette époque, les latines étaient la voie royale vers les études supérieures. Alors, il y a eu un prof de math et un autre en français qui ont été des pygmalion pour ce jeune enformation. Une participation dans une chorale initiée par le prof de musique. Une participation dans un groupe théâtral nommé "Les Argonautes".

Cela semblait dans les cordes puisque cela avait bien marché pendant les primaires. Ce furent donc six ans de latin, pour la beauté du geste et pour apprendre ce qui ne servira jamais que pour trouver une racine dans une langue. "Rosa, rosa, rosae, rosa, rosis", comme chantait Brel. Du prestige plus que du chiffre d'affaire, pourrait-on dire dans le langage comptable. 

Au milieu, un an de grec ancien, en 3ème année, et ainsi s'incruster un peu plus dans le passé. En finale, deux ans de sciences pour correspondre un peu mieux à ce que le monde de l'époque voulait de sa jeunesse. La Science a été pour moi, un émerveillement. Intello, grâce à un jeune professeur de mathématiques, j'ai passé mon examen de maturité dans cette sciences. Mais il fallait choisir une discipline plus précise à l'université. J'ai jeté mon dévolu sur la chimie en pensant à la chimie nucléaire. Le problème, c'est qu'avant d'arriver à cette expertise théorique, il fallait passer par des phases plus manuelles de laboratoire. Là, ce fut l'hécatombe pour les fioles et pour tout ce qui est cassable. C'est alors que l'informatique et ne numérique se sont présentés devant moi. Tout était encore quasiment à inventer dans un train presque à l'arrêt. J'ai sauté à l'intérieur en laissant la chimie, dans mes souvenirs. Mon approche du numérique, c'est fait en deux phases. La première via une petite société (une startup dirait-on aujourd'hui) dans laquelle j'ai tout appris au niveau des concepts du numérique toujours utilisés aujourd'hui sous forme . Le métier et la stratégie d'une société m'ont servi quand j'ai été envoyé chez le constructeur américain d'ordinateur Univac. La suite a été la fusion avec Burroughs pour former Unisys.    

Lorsque vous, jeunes, on vous demandera ce vous voulez faire plus tard, répondez sans hésitation.

Conducteur de train, marchand de jouets, créateur de jeux vidéo, clown dans un cirque.

Vous vous réserverez de meilleurs jours, par la suite.

Pas de fausse modestie. Pas d'opérations de charme. Pas de rêves dont vous n'auriez pas rêvés et aussi, à cauchemarder, pendant quelques nuits.

Il ne faut pas réinventer la roue. Elle tourne très bien sans vous.

Que de cadeaux personnalisés sur de mauvaises appréciations des dangers de la décision.

Mieux vaut jouer avec les roulettes du train électrique et que vous pourriez avoir une chance de recevoir la prochaine fois en cadeau.

Un train électrique, le "gamin" n'en avait jamais reçu.  Les rails étaient trop étroits. Seulement, très jeune, une petite locomotive en bois qui ne tenait pas la route, mais dont les déraillements s'ajoutaient à la joie. 

Puis, être né un 1er septembre fait qu'on est prédestiné à recevoir un beau cartable tout neuf à chaque anniversaire. Le cartable était placé en bandoulière sur le dos de son porteur. Le pupitre incliné, en bois, avec l'encrier ne faisait qu'un. la plume ballon trempée dans l'encre en faisant attention de ne pas répandre celle-ci avant d'arriver sur le papier d'écriture. L'éducation et l'enseignement se confondaient. On prenait attention à enseigner la bonne position et l'hygiène qui donne 'toujours' la santé.  

Un jour, à la porte d'un des amants de Raymonde, Guy s'est retrouvé devant lui. 

- Vous avez assez joui de ma mère, pourrais-je en profiter aussi?

Une déclaration surprenante. Plus surprenant qu'il ne pouvait s'en rendre compte.

L'amant se retourna vers la mère avec un sourire au lèvre.

La sexologie n'était pas dans les habitudes de la maison.

Candeur quand tu nous tiens.

L'homosexualité potentielle, il l'avait rencontrée. Il avait senti que ce n'était pas son parti, pas d'homo dans la famille et cela s'était achevé plus vite que le commencement. Le sexe pouvait encore attendre.

Bien plus tard, les films pornos ont permis de combler une information non desservie sur mesure. De filles, il avait considéré d'en avoir déjà son compte avec deux femmes à la maison, une mère et une grand-mère, cela suffisait. 

C'est lors du service militaire que l'idée du sexe a explosé. Plus particulièrement quand il fut démontré dans une base allemande près de Cologne et un déplacement en manoeuvre à Hambourg. 

A la question de sa mère, de savoir ce qu'il voulait faire plus tard, dans sa candeur, toute pratique, le gamin lui avait répondu:

- Je voudrais être docteur. Pour te soigner, Maman.

- Docteur, en quoi? En médecine?

Non mais, elle est folle cette idée-là...

Quand il avait dit cela, sa mère représentait beaucoup à ses yeux sans en recevoir le retour sur investissement personnel.

Pour impressionner la galerie, voilà, que le gamin s'était mis dans le pétrin, en porte à faux. Avec deux mains gauches, il ne devait pas espérer être manuel, d'accord, mais de là à passer à la vitesse supérieure...

Il aurait pu avoir une vocation pour le dessin, mais pas celle-là puisqu'il n'en connaissait pas la durée des études, les arcanes et les voies de garage.

Une fois, les mots lancés, il fallait accepter à être piégé.

L'année suivante, il recevait la monnaie de son erreur. Ce furent des jouets de médecin, comme palliatifs de récompenses pour celui qui avait eu des idées avant-gardistes prononcées par méconnaissance.

Les parents, décidément, vont se choyer de ce genre d'idées pour leur propre avenir et le répéter à qui voulait l'entendre.

- Mon fils veut devenir médecin.

Une succession assurée qu'ils n'avaient pas, eux-mêmes, senti devoir à assumer et ainsi, sauter sur une occasion de se faire plaisir par la même occasion.

L'innocence de leurs enfants, c'est ce que les parents aiment le mieux. Comme il s'agissait, ici, de deux femmes, c'était le summum de l'espérance.

Une vocation, cela ne se transmet pas dans les gènes, malgré, les envies éventuelles des parents.

Cela se découvre par à coups, progressivement, à coup de succès et d'échecs.

La mère n'avait pas une intelligence géniale. Elle s'était fait arnaqué par un truant qui lui avait vendu un filon au casino. 

Mais c'est déjà une autre histoire.

Au sujet des histoires qu'un parent raconte généralement à ses enfants parce que cela l'a marqué si pas terrorisé: la guerre et ce qu'on en ressent.

Le "gamin" en recevra plus d'information sur la guerre 14-18 par l'intermédiaire de la grand-mère, que sur la guerre 40-45, époque pendant laquelle sa mère vivait les plus belles années de sa jeunesse entre 20 et 25 ans.

C'est à croire que sa mère ne l'avait pas vécue, cette deuxième guerre-là, qu'elle n'avais jamais existé. 

Le "gamin" n'aura, heureusement, pas d'obligation de le justifier pour avoir déraillé dans cette voie.

Il sera monté en grade, artificiellement dans l'échelle des honneurs. Il rêvait à Bob Morane en secret.

C'était déjà, ça.

"Il nous faut devenir adultes pour comprendre que les adultes n'existent pas et que nous avons été élevés par des enfants que l'armure de nos rires rendaient faussement invulnérables.", écrivait Christan Bobin

 

...

09 - La grande école du danger de la solitude

«Si les écoles cessaient d'être obligatoires, quels élèves resterait-il au professeur qui fonde tout son enseignement sur l'autorité qu'il exerce ?», Ivan Illich

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Une intermédiaire médiatrice entre tout à coup, dans la conversation.

- Comme narrateur, vous parlez de vous. Mais je ne vais pas vous laisser parler en direct. Je vais vous poser des questions. Apparemment vous n'avez pas eu d'enfance très enthousiasmante? Vous parlez de votre entrée à l'école primaire et cela semblait aller mieux. Est-ce que je me trompe? L'après fut-il de la même veine? Vous en souvenez-vous?

- Non. A l'école primaire, pas besoin de transcender sa mémoire. Il suffit de progresser avec ses impulsions et ses intuitions pour progresser dans la connaissance. L'école était en face de l'endroit où j'habitais au 3ème étage, sans ascenseur. Cela voulait dire que qu'il fallait monter le charbon de la cave. De l'école primaire, je me rappelle le pupitre, les plumes et l'encre dans le petit encrier rond dans le coin du bureau d'écolier dont le siège faisait partie de l'ensemble. A la récré, les jeux de billes, plus tard, ce fut le yo-yo que l'on faisait monter et descendre avec le plus de figures possibles.

A la "grande école", que l'on appelle l'athénée, ce fut un changement d'optique et de méthode. C'était étudier et passer à la vitesse supérieure où l'intuition ne joue plus. Nous entrons progressivement dans le domaine du bourrage de crâne. Vous souvenez-vous de ma réponse innocente de l'"or" qui devient "jambon"? Plus question de répondre ainsi dans cet environnement. Ce serait la honte, jusqu'à la fin des temps.

- Qu'avez-vous trouvez de tellement changé?

- Apprendre sans l'appui des réalités, par la seule abstraction, sans réelle logique commune des matières enseignées. Ce qui nous entoure dans la vie de tous les jours n'y avait plus sa place. Un programme était à fourguer aux jeunes tel quel. Il était à digérer, coûte que coûte, dans les différents tiroirs de la connaissance sans liens bien évidents entre eux. Il n'est, donc, pas nécessairement au diapason de ce qui est demandé par les élèves et très loin de leurs préoccupations initiales. J'ai toujours envié les copains qui se mettaient la bonne parole en mémoire pour pouvoir la réciter ensuite sans la comprendre. Assimiler prend toujours plus de temps, plus d'expérience. Mais, pour débuter, emmagasiner leur suffisait. Pas à moi. J'aimais ce qui était "praticable" en sortant de l'école.

- Donc, cela ne s'est pas bien passé?

- Pas vraiment, en effet. Un exemple... Les interrogations écrites étaient ma hantise. Plutôt lent à la détente, avec un retard à l'allumage, je reconnaissais que la leçon de la veille n'avait pas encore mûrie suffisamment dans ma tête. Alors, quand je parvenais à passer son cap et arrivais à la leçon suivante sans passer par l'étape de vérification de l'apprentissage de la précédente, je ne pouvais que souffler un profond "ouf" de soulagement. Après le vote sanction, les problèmes commençaient.

- Du retard à l'allumage quand on voit où vous êtes arrivé, seul, c'est étonnant.

- Ce fut un effet retard dans la compréhension et dans la manière de donner des cours, qui était en cause. On ne semblait pas avoir besoin d'un pas de recul dans l'enseignement. Pas d'ajustement à l'échelle de l'élève. L'improvisation, je n'aimais pas. La répartie n'était pas mon fort. J'aimais analyser avant d'accepter le message qui était présenté comme seul plat de résistance. Cela n'a d'ailleurs pas changé. A la différence, à cette époque, je ne pouvais imposer mon rythme. Les résultats s'en ressentaient et pas mal de zéros s'accumulèrent pendant quelques années du début de l'enseignement à l'athénée. Les rédactions et les dissertations furent les premières pierres dans le jardin. Avec un sujet précis, sur commande et dans un temps limité, elles n'avaient pas l'heur de me faire progresser dans la bonne direction. Le côté littéraire n'était pas le violon d'Ingres. Je manquais d'images à mettre en correspondance pour caricaturer ces imposés. Une feuille blanche ne m'a jamais inspiré. Seule l'évasion, en dehors de toute contrainte, avait plus de chance d'aboutir avec plus de succès. Ce n'était pas cette liberté qui faisait l'unanimité des professeurs. Ils avaient leurs programmes, leurs objectifs qui n'étaient pas les miens. J'ai pris le temps pour m'y adapter moi-même. L'exercice de dissertation fut un véritable parcours du combattant. Il y avait une angoisse, un stress, à chaque fois, devant le sujet imposé. Je me rappelle l'un d'entre eux, banal pourtant, trop banal dans sa formulation qui posait la question : "Que pensez-vous de l'ordre? Êtes-vous pour ou contre?". De quel ordre, parlait-on? Je n'osai pas poser la question. Je me mis sérieusement à la tâche en pensant qu'il fallait parler de mon ordre personnel, de ma manière de ranger mes petites affaires. Sans m'en rendre compte, j'en pris ainsi le contre-pied, instinctivement. Parti-pris, résolument "contre" et j'allais le prouver avec la vertu du culot. Manque de pot, ce n'était pas de cet ordre dont il fallait parler, mais de celui dans la vie et dans la rue contemporaine. Recalé. Pas question d'en parler chez moi.

- Quelle furent les liens de vos parents avec l'école?

- Des réunions avec les parents. Mais, à l'école, elles ne faisaient que contourner le problème et confirmer l'erreur d'ajustement. Le professeur de français avait des difficultés pour présenter la chose à mes deux éducatrices attitrées. Élève volontaire mais qui n'a pas la vitesse suffisante à la détente. Tout était dit dans ce langage abscons. Le professeur n'avait compris que la surface du problème et pas décelé la source. Celle qui expliquerait que tout était plombé par un apprentissage sans tremplin ni filet dans une famille au complet et sans ressources intellectuelles.

- Que s'est-il passé?

- Alors, il a fallu changer son fusil d'épaule sans que personne ne le recommande. A ces réunions de parents, ma mère y était, bien sûr. Elle était partisane de la théorie qui dit que seul le résultat compte et qui est très peu intéressée par les détails pour y parvenir. Alors aider, elle n'y pensait même pas. Pour m'aider, ce fut le professeur de français, lui-même, qui me proposa de lire et de lire encore, mais pas comme je le faisais précédemment dans des Bob Morane avec trop d'affinité, sans parfois comprendre, mais en pointant les paragraphes intéressants dans les livres et en recopiant certains qui pouvaient être réutilisés. La mémoire n'y étant pas, j'avais perdu trop de temps dans le processus de lecture sans sans ses conseils avisés. J'ai commencé à tout noter. Puis, j'ai réduit la voilure. J'ai analysé les passages "délicats". Les bonnes citations, les bons mots, je les ai notés, soigneusement, sur un petit carnet avant de les classer par thèmes.

- Et cela a marché?

- Oui. J'ai commencé à suivre cette voie avec plus d'assiduité. Je ne comprenais pas toujours tout, mais mon carnet était devenu, en fin, un véritable journal de références. Dès lors, mes rédactions et dissertations furent mieux appréciées. Elles se retrouvèrent également dans un cahier que je possède encore. Livre d'images du temps passé, analysées, décryptées sans complaisances. Les cotations de mes pensées montèrent en flèche. L'année suivante, le discours ne fut plus le même, du moins, pour le prof de français.

- Vous semblez sous-entendre que du coté des autres matières, le problème de mémoire n'était pas résolu pour autant.

- En effet. Les interros écrites de début de journée me laissaient un goût amer, que seule, la sonnette de la récréation parvenait à me sauver. La mémoire pour emmagasiner les matières trop abruptes n'était pas venue du ciel. Alors, je me suis intéressé à ce qui existait comme bouquins pour améliorer cette mémoire déficiente. Il y en avait quelques uns sur le marché. Tous se ressemblaient. Tous attachés à des théories plus ou moins fumeuses, avec des filons mnémotechniques, pour un résultat très aléatoire, théorique et probablement très dépendant de celui qui en avait le problème. La lecture Kennedy, entre autres. Être rêveur et distrait étaient les spécialités qui ne me permettaient pas d'accrocher les faits et textes en mémoire. Pour améliorer la mémoire, j'ai même eu un épisode pendant lequel je m'étais introduit dans une petite troupe théâtrale de l'école. Peine perdue, beaucoup de théorie pour un résultat pratique bien maigre. On ne s'invente pas acteur. Pour jouer, il y a intérêt à l'aimer.

- A la fin de l'année, à force d'opiniâtreté, vous semblez être arrivé à boucher les trous de cette mémoire à force de contrainte et de travail à répétition et en boucles incessantes. Est-ce ainsi?

- Partiellement. Les mathématiques ont, pour moi, une histoire particulière. Cela avait très mal commencé avec un professeur qui avait ses têtes de pipes ou plutôt, de turcs. Un prof de Maths de l'ancienne vague. Son cours avait avec des relents sadiques. Je vins tout naturellement dans son champ d'investigation. Pour me faire comprendre ce qui n'avait qu'effleurer mon entendement d'élève pour l'algèbre, il n'était pas rare qu'il vienne par l'arrière, dans mon dos, pour me suspendre par le bout de l'oreille, m'entraîner vers le tableau et m'appliquer le nez sur la formule d'algèbre qui avait pris la clé des champs de ma compréhension. "Alors, Guy. On ne comprend pas l'équation. On rêve?" Tous les surnoms pour faire rire le reste de la classe, étaient bons et les "copains" savaient y répondre, au quart de tour, à ma timidité maladive. Mais, je durcissais doucement. Une des dernières fois, l'envie de mort dans mon regard ne l'avait pas effleuré. Heureusement ou malheureusement, peut-être.

- Les maths, votre hantise?

- Pas de doute, les maths étaient la hantise de la plupart des élèves. Aujourd'hui, rien n'a changé, je suppose. Pourtant, à partir d'une année, en 3ème, je crois, changement de professeur de maths. Un jeune prof de Math allait trouver le sésame dans ma cervelle pour les chiffres comme pour les lettres qui l'accompagnaient. Il suffisait souvent de découvrir les bonnes clés à insérer dans la serrure. Il avait apporté l'imagination à son cours et l’extrapolation avec la vie réelle de tous les jours. Les formules, les équations, les dérivées et les intégrales qui écartent normalement de leur compréhension, qui rebutent, trouvaient tout à coup une échappatoire et nous faisaient rêver par l'intermédiaire du concret. Nous savions tous comment le faire dévier de son sacro-saint programme en l'emmenant dans les étoiles et les choses de la vraie vie. Il n'était pas dupe, mais c'était sa passion aussi. Il en profitait et se préparait à cette éventualité. Il savait qu'à un moment donné, il lui fallait revenir sur les rails de la théorie, mais il se faisait plaisir en dérivant des sentiers battus du programme. Tout le monde était donc content. Nous étions alors en pleine période de la conquête de l'espace et cela fut le sujet de prédilection, s'il en est. C'est alors que j'ai commencé à aimer les sciences exactes, comme si elles allaient expliquer tous les problèmes de cette conquête de l'espace. N'était ce pas le bon chemin pour l'envie d'accroître la connaissance du monde avec le regard de l'incrédulité et de la passion? 

- Avez-vous d'autres disciplines qui vous ont marquées?

- Mon attirance pour la musique classique me vient d'un autre jeune prof de l'époque qui a fait beaucoup de chemin depuis lors. Bien plus tard, devenu inspecteur de l'enseignement musical. Max, c'était son prénom, sut mettre de l'ordre dans mes notes discordantes et mettre le classique et le moderne de l'époque en symbiose. La chanson prit même forme dans une chorale dont il était le maître de musique. Cela sans baguette. Pour le seul plaisir. Rien ne l'imposait à construire cette chorale. Un disque 45 tours fut même en chantier avec des « Porgy and Bess » et « West Side Story ». Je regrette aujourd'hui de n'avoir pas poussé plus loin l'étude d'un instrument et du solfège. Mais vous savez, on ne se refait pas aussi facilement et il faut se contenter de ce qu'on a. C'était des années Michel Vaillant, de Piloter, de Salut les Copains....

- Donc, votre expérience dans cette école vous a laissé un goût mitigé avec certains professeurs qui avaient pourtant eu l'occasion de vous titiller l'esprit.

- Cette école-là, la grande, m'a donné quelques fils à retordre en fonction de mon manque de préparation et de ma candeur. C'est certain. Plus question d'avoir un titulaire qui me suit et qui connaisse tous les éléments avec mes faiblesses et mes points forts. Je vous expliquerai la suite dans un autre chapitre.0.jpg

En parallèle, en dehors de la classe, je me suis retrouvé aussi entre chiens et chats, entre grandes gueules et gros bras. Rien de nouveau, toutes les écoles connaissent ce genre de caïds. Les plus huppées ne sont pas les moins dangereuses. Les différences de classes commençaient à poindre. Les clans se forment et éliminent ceux qui n'ont pas le goût de faire partie de la meute des réactifs à l'enseignement. Je gardais des envies d'apprendre et je n'étais pas tenté par l'aventure. Cette aparté me créa très vite quelques ennuis. Aujourd'hui, avec les problèmes de drogues que l'on connait autour des écoles, je ne serais peut-être pas allé plus loin. Mais reprenons le fil.

- Oui, et le fil virerait au rouge dans cette école?

- A la fin du circuit des primaires, j'avais subi une fameuse chute, pour me retrouver au sol avec les dents cassées. Je vous passe des détails financiers et autres. L'esthétique et l'intégrité physique avaient été touchées. Les réparations dentaires se poursuivirent et eurent des suites inattendues. Des produits odorants dans la bouche donnèrent, chez ses condisciples, l'envie et une raison de me repousser. Vous savez, ces produits dentaires ne font pas que désinfecter, ils infectent aussi par l'odeur. J'étais devenu le "pestiféré" tout désigné. Le surnom d'un animal choisi pour la circonstance ne faisait pas dans le détail, ni dans l'espoir d'une mauvaise interprétation. "Putois, t'as encore oublié ta leçon?".

Ce surnom me colla à la peau quelques temps. J'aurais presque préféré avoir un pseuso plus enchanteur. J'ai dû en assumer les "dégâts collatéraux" sous forme d'harcèlement. Sans naturel à me battre pour défendre mon intégrité morale, je sortais, à chaque fois, d'une ambiance sulfureuse, un peu moins fier, retranché derrière ma solitude, ma lâcheté, pourrait-on penser. Mais, me battre physiquement n'avait pas  l'heur de plaire par mes deux éducatrices dans le "Home, sweet home". Un essai de défense contre les adversaires, fut très sérieusement réprimé et sanctionné. Une période de solitude, de désert de bonnes relations suivies, s'installa. Il me fallait pourtant parler à quelqu'un. J'ai inventé un double de moi-même par l'esprit. Un frère inexistant, remplacé par un fantôme virtuel, plus fort que moi et qui allait me comprendre, me corriger, me défendre, parfois en accord, parfois complètement opposé à moi-même. Voilà ce qui allait faire l'affaire. Lui, au moins, allait m'aider à supporter certaines de mes angoisses et à surmonter mes crises internes.

- Votre subconscient?

- Schizophrénie, dirait-on peut-être pour utiliser un mot savant? Non, en réalité, plutôt une conscience, une réaction judicieuse aux contacts et aux réactions des autres pour contrecarrer mon état impulsif trop marqué et qui aurait pu dégénérer sans cela. Je n'étais pas du genre mazo. Je ne le serai jamais, d'ailleurs. J'étais timide, j'avais toujours une peur viscérale mais je me suis soigné progressivement. Mais n'anticipons pas...

Ce sera « Où je fais le procès des mots composants les phrases terminales mais où, par la force des choses, je me comporte comme un débutant », comme fermerait la conversation, Bouvard avec, probablement, une idée derrière la tête.


...

10 - Les "Golden Sixties"

« L'amitié totale est universelle. Et seule l'amitié universelle peut être une amitié totale. Tout lien particulier manque de profondeur, s'il n'est ouvert à l'amitié universelle. », Jean Guitton

0.jpg- Reprenons notre conversation, si vous le voulez bien. Vous semblez avoir été malmené dans votre jeunesse. Vous n'êtes pas devenu misanthrope ou misogyne tout de même?

- Mon double ne me l'aurait pas permis (sourire). J'étais ouvert à tout. Au contraire. Non, il y pas eu des rencontres intéressantes, quelques amitiés avec des condisciples. La cassure entre les primaires et les secondaires a seulement été plus forte que prévue. Une déception en a suivi. Ce qui a entraîné, je dois l'avouer, une méfiance progressive. De bons moments, aussi. Mon anniversaire, par exemple, avait pris un aspect de rituel dans la famille, dès mon plus jeune âge. Un rite avec les mêmes acteurs, les plus proches de la famille. Les mêmes plats revenaient tous les ans. Aucun problème pour m'en rappeler: plat froids variés, vol-au-vent, un grand melon rempli de fruits au kirsch et un gâteau éclairé en dernière minute de bougies qui s'additionnaient une à une avec les années.

- Rien de particulièrement riche.

- Mais suffisamment joyeux pour marquer la différence avec le quotidien. Un retour en arrière? Pour parler de Saint Nicolas et le Père Noël qui venaient à leur tour. Ils furent les bienvenus très longtemps avec des cadeaux très peu onéreux dont je ne cherchais pas vraiment l'origine. Ces "saintes personnes" ne pouvaient pas distribuer de grands cadeaux à tout le monde. La cheminée était bien trop petite pour cela. Alors, quand on disait qu'il fallait nourrir l'âne de ces visiteurs, je ne me le faisais pas rappeler la tâche. Le poêle à charbon fit office de cheminée de réception des offrandes. Cette croyance resta ancrée très longtemps dans les habitudes. Un bon coup de ma grand mère qui avait pu faire disparaître les offrandes dans un temps record. Les mieux avertis de la vérité ne m'imposèrent pas une autre vérité pendant une plus longue période d'enfance que de coutume.

- Amusant, ce retour en arrière. Mais vous aviez des envies d'adolescents?

- Mon envie se résumait dans le but à atteindre, pas dans la méthode et les moyens et je devais m'en contenter. Ils remplaçaient tellement de choses. Je devais me tromper, mais je ne trouvais rien d'autre.

- Et à l'école?

- A la fin des primaires, un véritable ami, inséparable. Un frère n'aurait pas été différent. Nous étions toujours ensemble. Le monde était à nous. Il était français. Les confidences faisaient partie de nos conversations. Puis, cet ami s'est évaporé comme il était venu, retour dans son pays d'origine ou plus simplement, changement d'orientation. Je n'en ai plus le souvenir. 

- Et à la grande école?0.jpg

- Bien plus tard, le groupe théâtral, dont j'ai parlé, entre garçons et filles, sous le nom des «Argonautes» s'était formé avec quelques uns d'entre nous. Très bonne initiative. Le théâtre demande un esprit d'équipe et quelques facilités du côté mémoire. Allait-elle me faire capoter? Je reçu des rôles de deuxièmes couteaux qui me permettaient de prononcer les quelques paroles du script. L'importance n'était pas dans les rôles mais dans les liens créés entre les acteurs et elle fut bonne. Le théâtre ne m'était pas destiné. J'avais déjà assez à assumer mon propre rôle. Il y eu un drame à mentionner. Un des jeunes de la troupe décéda de manière foudroyante, dans son sommeil, ce qui accentua les liens entre les autres. Une fin d'année fut l'occasion d'une manifestation de nos modestes exploits théâtraux.

- Et en dehors de l'école?

- Rien ou presque. Un été, je me trouvais en colonie de vacances à la mer, sur la côte. Une idée de ma mère, peut-être. J'aurais pu entonner la chanson de Pierre Perret "Les jolies colonies de vacances". Cet été-là, le temps des sorties au grand air fut raccourci suite à une météo des plus maussades. Je me morfondais, entassé dans un grand garage comme seul endroit de récréations. Des rencontres mal agencées. J'ai dû m'exprimer dans une lettre qui racontait trop intensément cette claustrophobie mais qui dépassait ma pensée suite à une mauvaise compréhension de la situation. Ma grand-mère choisit ce moment pour venir me rechercher avant le terme échu du mois. Ma mère n'était pas présente. L'occasion d’ouvertures avec d'autres fut ratée.

- Les jolies colonies de vacances... (chantonnée par la médiatrice)

- Une autre fois, les colonies de vacances, je les fréquentai, bien plus tard, de l'autre côté de la barrière en tant que moniteur. Dans l'adolescence, en phase terminale, je connaissais ce que pouvait éprouver un jeune écarté de ses parents. Je m'étais attelé à la tâche avec beaucoup de présence sur le terrain et avec une volonté de l'assumer avec conscience. Je dois dire, sans fausse modestie, que les gosses m'aimaient beaucoup. J'étais très sollicité. Je me souviens, cela m'a beaucoup plu cette rencontre avec les plus jeunes que moi et, ainsi, casser cette distance entre les générations.

- Vous aimez être en groupe?  

- Aujourd'hui, il m'arrive de regretter de ne pas avoir fait partie des scouts, de ces ensembles de jeunes qui apprennent à vivre ensemble. Cela m'aurait probablement été utile. Mais je ne suis pas sûr que j'aurais pris mon pied dans l'aventure.

- Des expériences particulières?

- Mon instruction en tout, était devenue une obligation de réussir coûte que coûte. Prouver que seul, on pouvait y arriver. Dans ces cas-là, la solitude devient un havre de paix et de certitudes. Comme je l'écrivais dans un article, c'était Gilbert Bécaud qui avait une chanson sur le sujet dont j'étais fan à cette époque. J'avais mes lectures qui m'accompagnaient dans ces solitudes. La bibliothèque municipale a reçu souvent mes visites. Très conservateur, ce qui servait de bibliothèque de la maison, se révéla, très vite, trop exiguë. L'envie de lire avait réveillé un environnement, loin des compétitions pour accompagner mes rêves.

- Avez-vous des exemples de vos lectures?

- Un livre qui m'avait intéressé "Vipère au poing" d'Hervé Bazin. Aucune ressemblance avec ce que je ressentais. Donc, je devais être dans le bon. Rien que du pratique, mais pas de livres sur la philosophie ou sur des sujets trop fumeux. Avant le passage à l'étape suivante, un examen de maturité non obligatoire permettait d'espérer d'entrer dans l'étape suivante, à l'étage du dessus. La chimie semblait être une bonne opportunité et correspondre à mon affinité pour les sciences. Ce qui tournait autour de la matière, du nucléaire me passionnait.

- Donc, vous êtes entré à l'université. 

- Oui. L'université m'a donné déjà quelques échantillons de plus qui prouvaient que la compétition est de mise. Le baptême fut pour moi, une cure de résistance contre moi-même et les autres. Je n'ai pas été tondu parce que j'ai osé attrapé le pendentif supplémentaire attaché entre les jambes d'un adversaire, qui n'a pas été assez leste pour moi (rires). Passer le cap, au plus vite et puis ne plus y penser. La méthode d'enseignement avait complètement changé. Le rythme aussi. 

- Cela s'arrangeait-il enfin?

- Oui, enfin presque. Quoique le fossé se creusait entre ce que je pensais et les réalités sur le terrain de l'action. Ma solitude en prenait pour son compte tout en m'ayant aguerri avec un caractère devenu opiniâtre. Mon double était de plus en plus sollicité, alors que mon simple ne trouvait plus ses repères de base. Plus de relevés des présences dans les auditoires. Une liberté qu'il fallait contrôler sous peine de se voir distancé très vite. La sanction toujours en finale sans examens intermédiaires.

- Et après?

0.jpg- Après, ce fut le service militaire obligatoire. Puisque le pays avait besoin de moi, il fallait me prendre comme j'étais. Ce fut dans l'artillerie que je me retrouvai. J'étais tombé, heureusement, dans le haut du panier en tant que soldat. Je ne voulais pas de galons sur mon épaulette. La mission se résumait à contrôler la précision de tir des bataillons. J'ai pu, ainsi, approfondir la connaissance de la topographie. Aller sur des points pour en calculer les positions de manière précise, se balader en pleine nature avec du matériel très coûteux à bord d'une jeep, en petites équipes autonomes. 

- Et vous avez aimé.

- Je dois avouer, c'était le pied. Tiens une expression qui n'existait pas alors (sourires). Des manœuvres qui aboutissaient à proximité du Rideau de fer, une permission dans la ville de Hambourg et la Reperbahn, le quartier chaud, le "red light district".... Tout cela pouvait faire évoluer un jeune homme en formation qui n'en avait pas vu que très peu de ressources. Le reste dans cette vie de militaires fut tout autant utile. Éplucher les patates, nettoyer les couloirs et organiser son lit, la discipline. Des opérations complètement inconnues jusque là. Des expériences qu'un jeune, aujourd'hui, ne connaîtra plus vu l'abandon du service des miliciens. Dans ma chambrée en Allemagne, il y en avait des grosses têtes du côté "études". Un artiste en dessin, aussi. Même s'il dessinait toujours les mêmes châteaux à l'encre de chine avec obsession, personne n'aurait osé lui en faire le reproche. Il avait ses propres rêves.

Un jour, un garde-chiourme, un sergent, avec 3 lattes sur l'épaule, posa une question à un de nous, futur expert comptable qui a dû arrivé à des postes de directions bien plus tard: "Vous n'êtes pas totalement idiot, tout de même?". Je ne sais si j'en ai ri ouvertement ou dans le fond de moi, tellement cela semblait insolite.

Nous nous trouvions "Où il est question que je même des douaniers, des Gretchen et des petits chefs", comme l'imaginait Bouvard.

- Etes-vous resté dans l'ombre?  

- Pas mazo pour contredire le gradé. La tête de pipe ne serait pas moi.  Après le terme, tous les membres s'étaient donnés le mot: se retrouver le 11 novembre à 11 heures de chaque année. Cela fut le cas pendant deux ans de suite et puis plus rien. Cela s'est éteint car chacun s'était marié et les affaires de l'armée n'intéressaient pas nécessairement les conjoints. C'est aussi alors que j'ai connu mon épouse. L'armée initiait l'indicible monde par quelques conneries où tous les chats sont gris . Le gris, la couleur de référence en photographie et dans d'autres circonstances. Les autres couleurs, il faut toujours en rechercher les "compatibilités" et se résoudre à rencontrer les couleurs complémentaires. 

J'hésite encore de dire laquelle, je préférais (rires).

- Vous étiez devenu un homme.

- Oui, j'avais, définitivement, quitté l'époque des éléphants roses. Quand la vie active fut venue, j'ai changé de registre. J'avais compris que rien ne se résout dans la solitude et qu'un travail d'équipe était toujours à la base de tous progrès même si les faux amis sont légions. Nous sommes dans un monde où l'intérêt prime sur l'amitié. Un monde dans lequel les conseilleurs ne sont jamais les payeurs. Mais, rassurez-vous, il n'était plus écrit "pigeon" sur mon front. (Sourires).

- Vous avez pris le pseudonyme d'enfoiré.

- Avec humour et volonté. L'humour a pris progressivement la relève devant des situations qui ne le justifient pas nécessairement. L'envie de rire, je connaissais bien. L'humour devenait une arme de la dissuasion et peut-être, pour certains, une arme de destruction massive. Si je suis resté un solitaire par plaisir, il ne faut pas croire que je suis un ermite. (rires)

- Qu'aimez-vous dans la solitude?

- La solitude permet tellement de passer aux choses profondes, aux choses vraies. On y prend le temps à son propre rythme. Se retrancher du monde permet de réfléchir. J'aime le hasard en tout. Je n'aime pas forcer le destin. J'aime marcher, jogger, seul et engager une parlotte dans la rue ou dans l’ascenseur. Il vous sera difficile de me trouver dans une compétition d'une discipline sportive. J'ai appris à me mesurer avec moi-même et je trouve cela bien suffisant. Il n'y a aucun caractère asocial, seulement un peu de précautions et de volontés d'autonomie. Les regards dans les rencontres furtives ne s'éternisent jamais. Ils font des vaguelettes, suivies de vagues plus fortes, mais sans jamais devenir des tempêtes.

- Une dernière question pour cette fois et pour me faire plaisir. Pourriez-vous donner quelques souvenirs rapides de cette époque, des années 60, de ce qu'on a appelé les Golden sixties?

- Vu votre âge, ce fut une époque totalement différente de la vôtre. A des années-lumière, devrais-je dire. En plein rayonnement économique et culturel. Une époque très fleur bleue. Pas d'"hacktivistes d'Anonymous" menaçants.

Au cinéma, ce furent la saga des Sissi, la Mélodie du bonheur, Brigitte Bardot et j'en passe. Vous vous rendez compte, Romy Schneider devenait la Reine malgré elle, à la cour autrichienne. Walt Disney faisait vibrer avec des histoires d'un autre temps. Toute une époque, bien rose, en définitive. La guerre des boutons vient d'avoir deux remakes qui se sont fait concurrence. Ce furent des golden sixties sans télévision, sans voiture, sans téléphone. Le cinéma constituait toutes les distractions et on s'y retrouvait tous les week-end après l'église pour certains. Le prix des places tournait autour de 0,50 euros, prix dépendant de la position par rapport à l'écran en partant des fauteuils, jusqu'aux corbeilles et aux balcons. Nous n'étions pas très riches.

- Une anecdote amusante?

- Pour diminuer les frais, un subterfuge de ma grand-mère pour donner plus pour moins cher. Coller avec le nez sur la toile se payait bien moins cher qu'avec les places du recul du fond de la salle. Elle était amie avec une ouvreuse qui, grâce à son aide, dans la pénombre, nous envoyait dans les meilleures places, à l'arrière de la salle, avec le prix payé au minimum. Dans le noir, tous les chats sont gris, disais-je. Les tickets de couleur différentes l'étaient aussi. Époque pendant laquelle, il n'était pas obligatoire de respecter les heures des séances. Ce qui permettait de voir la fin du film et de le revoir en entier ensuite, une deuxième fois. Mais on entrait au milieu d'une séance. Je connaissais la fin du film avant de voir le début.

Pas de télévision, disais-je. Quelques privilégiés se payaient la petite lucarne avec un écran très bombé. Nous étions bien loin d'en acquérir un. Raison invoquée, "il ne faut pas distraire les études du gamin".

Époque où la radio était reine, années d'Age tendre et les têtes de bois, de Salut les copains, du périodique Pilote, de Tintin... de jeux comme le hulla hop, les scoubidous, le yoyo. Une idole pour moi, Gilbert Bécaud dont certaines chansons, "Dimanche à Orly" correspondaient à quelques uns de mes rêves. Cela ne voulait pas dire qu'il ne ressentait pas un changement qui arrivait. Elvis Presley, les Beatles, aussi... Plus tard, Daniel Guichard, de la même génération. Pas de chômage. une croissance de 7% et j'en passe...

"Pour une amourette" qui passait par là, comme Leny Escudero le chantait, on aurait pu faire des détours. Amourettes souvent très platoniques et sans lendemain. Les paroles expriment bien l'esprit de l'époque.


Pour une amourette
Qui passait par là
J’ai perdu la tête
Et puis me voilà
Pour une amourette
Qui se posait là
Pour une amourette
Qui tendait les bras
Pour une amourette
Qui me disait viens
J’ai cru qu’une fête
Danse et tend les mains
Pour une amourette
Qui faisait du bonheur
J’ai fui la planète
Pour la suivre ailleurs
Alors je me suis dit
T’es au bout du chemin
Tu peux t’arrêter là
Te reposer enfin
Et lorsque l’amour
S’est noyé dans ses yeux
J’ai cru que je venais
D’inventer le ciel bleu
Pour une amourette
Qui m’avait souri
Je me suis fait honnête
J’ai changé ma vie
Pour une amourette
Qui croyait m’aimer
Pour une amourette
L’amour éternel
Dure le temps d’une fête
Le temps d’un soleil
Et mon amourette
Qui était trop jolie
Vers d’autres conquêtes
Bientôt repartit
Le premier adieu
A gardé son secret
Elle emportait l’amour
Me laissant les regrets
Même le dieu Printemps
Au loin refleurissait
Et tout contre mon cœur
Déjà il me disait:
Une petite amourette
Faut la prendre comme ça
Un jour, deux peut-être
Longtemps quelquefois
Va sécher tes larmes
A un nouvel amour
De jeter déjà
Les peines d’un jour
Une petite amourette
Un jour reviendra
Te tourner la tête
Te tendre les bras
Chanter la romance
Ou le rêve joli
Mais je sais d’avance
Que tu diras oui
Alors les amours
Pour toi refleuriront
Tu aimeras encore
A la belle saison
Une petite Amourette
Jamais trop jolie
Quand on sait d’avance
Ce que dure la vie.

 

Les garçons à l'Athénée, les filles au Lycée. Les boums de l'époque complétèrent les approches qui s'imposaient à un jeune mâle en formation quand sa sève montait. Nous étions dans un camp et pas dans l'autre. Rien que de timides flirts et rien dans la longueur. Personnellement, je laissais les conquêtes à ceux qui en avaient les envies inscrites dans leurs gènes. Une jeune fille, une certaine Viviane, que je rencontrais, avec qui je souriais, avec qui je n'ai échangé que quelques mots, mais cela s'arrêtait là. Je n'étais peut-être alors que spectateur en attente d'un flash. Cela ne s'accordait pas temporairement, voilà tout. Avant d'y aller aux boums, mon double m'avait prévenu: "Cela ne marchera pas. Fais gaffe.". C'est parfois embarrassant d'avoir un prédicateur comme double.0.jpg

Puis, il y eut cette fameuse année 68, année de révolutions culturelles, comme ce le fut dans les pays arabes cette année... Une comparaison que j'ai tentée de faire à l'occasion du 40ème anniversaire. Le slogan de l'époque "Interdit d'interdire". Tout un programme. Qu'en est-il resté réellement? Année de tous les dangers, aussi. L'assassinat de Martin Luther King, le Printemps de Prague, la guerre froide, celle du Vietnam avec comme contre-pouvoir de résistance, les hippies et les fleurs dans les dents ... L'année suivante, on posait le pied sur la lune, le Concorde montait pour la première fois dans le ciel... La révolution culturelle de 68, les violences françaises n'ont pas été aussi virulentes chez nous, mais le reste est encore en mémoire et en application. Des problèmes communautaires avaient pris le dessus avec le "Walen buiten". Des années folles pendant lesquelles tout semblait possible. Je dis "semblait"... car c'est en 1960 que la loi unique, baptisée "loi inique" commençait la période d'austérité sans en donner le nom, avec l'augmentation des impôts, la réduction des crédits... Le Congo n'était plus belge: Vous voyez tout est un éternel recommencement, mais on l'oublie très vite. C'est peut-être une chance.

Ai-je répondu à votre question? Vous ai-je fait plaisir?  

...

11 - Rencontres insolites

« J'ai rencontré quelques peines, j'ai rencontré beaucoup de joie; c'est parfois une question de chance, souvent une histoire de choix », Grand Corps Malade

0.jpg- Merci, pour avoir fait revivre ces années folles. N'y a-t-il pas eu de bonnes surprises?

- Si. Une visite insolite et inattendue. Une anecdote presque, puisqu'elle n'a rien apporté de nouveau. Je devais avoir 16 ou 17 ans.

Ce jour-là, la porte de la classe s'ouvrit, laissant le passage au recteur de l'athénée. Il vint près de moi et me souffla à l'oreille: "Il y a quelqu'un qui t'attend dans mon bureau". Il n'en dit pas plus et se dirigea vers la sortie. La surprise devait se lire sur mon visage.

M'excusant auprès de celui qui donnait la leçon, je suivis, intrigué, le recteur en traversant la classe et le préau. Espace suffisamment long pour me donner le temps de creuser avec tous les sens ma mémoire de qui aurait pu m'attendre.

Il me précédait toujours de quelques pas et m'indiquant la porte ouverte, m'invita à y pénétrer. Lui, d'habitude plus soucieux de ce qui se passe, s'éclipsa, jugeant que sa mission était terminée. 

A l'intérieur du bureau était assis un Monsieur, inconnu par moi, dont je n'aurais pu dire, quel vent aurait pu l'envoyer dans mon champ de vision.

"Bonjour", me dit-il, en me tendant la main.

"Bonjour, Monsieur", lui répondis-je inquiet.

"Tu ne me reconnais pas. Je suis ton père et je suis là pour t'annoncer la mort de mon père Donc, de ton grand-père".

"Ah, bon", parvins-je à lui répondre, sans émotion, toujours sous le couvert de la surprise.

Si j'avais pu me cacher dans le trou de souris du bureau, je pense que je l'aurais fait. L'entrevue ne fut que de très courte durée. Je ne sais si ce fut un moment heureux ou non. L'inconnu ou le paternel s'en retourna comme il était venu, par la même porte. Pas d'embrassades, pas d'effusions.

Pas de préparation à cette rencontre presque insolite. L'« effet retard » avait, une nouvelle fois, pris le dessus. 

Je ne suis pas allé à l'enterrement de ce grand-père paternel. Ma mère, informée n'y accorda pas plus d'importance. Remuer le passé, elle ne le pouvait probablement plus. Pour moi, je ne sais si l'entrevue n'aurait pas été profitable dans plus de durée. Peut-être aurais-je pu apprendre bien plus tard à connaître ma demi-sœur?

Depuis lors, plus la moindre nouvelle. Je n'ai jamais appris son histoire, ses études, sa profession. Cette visite n'a été qu'une parenthèse, ensuite fermée à tout jamais. N'avoir eu qu'une demi-famille et non pas une "Double enfance" comme le chante Julien Clerc. Ce n'est que bien plus tard, que j'appris que j'avais une demi-sœur. Je ne l'ai jamais rencontrée. Le bottin n'a pu me dire s'elle existait quelque part.

- Vous avez des reproches à ce sujet? 

- Je dirais, Maman, je peux te comprendre, mais tu ne t'es pas posé la question de savoir si un père ne m'aurait pas plu, cette fois-là. Tu avais ta réponse avant moi et la mienne n'avait pas d'importance. J'aurais voulu qu'on en discute avant que tu ne sois plus capable de me répondre avec la mémoire nécessaire pour les comparer avec les miennes, avant que tu ne disparaisses. Aujourd'hui, je suis convaincu qu'un père est absolument nécessaire et j'ai probablement raté quelque chose sans père. Un enfant, peut-être, aussi. Quand je pense à ce qui m'avait manqué un frère ou une sœur, c'est reconnaître un manque, une finition incomplète. Ce qui s'est passé, n'est-ce pas un peu ce qu'on appelle aujourd'hui, l'aliénation parentale?

- Des regrets, donc?

- Non. Regretter c'est perdre son temps. Je ne vous cache pas un pincement au cœur à l'écoute de la chanson "Mon vieux". Peut-être, le fait de ne pas avoir eu de père à qui faire pleinement confiance et se poser de l'utilité des choses plus masculines, du pourquoi de l'éducation et de l'instruction, qui n'a pas reçu de réponses logiques sinon celle du tâtonnement, entre succès et échecs.

Heureusement, il n'y eut pas de jeunesse déboussolée par la décomposition et les recompositions successives des familles que l'on trouve aujourd'hui. Entre père biologique, père de remplacement, père adoptif, le beau-père, le parâtre qui tirent à eux chacun la couverture, difficile de trouver le plus fiable.

Mon épouse a dû être une rencontre insolite pour ma mère. Différence de caractères. Ma mère ne l'a jamais dit, mais j'en ai eu des échos, elle était hostile à mon mariage deux ans après. Elle n'avait pas réussi son coup. Elle nous incita ensuite à profiter de la vie avant d'avoir des enfants, pour finir par le déconseiller à demi-mots. Il fallait plus d'assurances financières et elle ne pensait pas pouvoir y contribuer si cela se passait. Mon épouse a pris peur. Moi, j'ai été embrigadé dans le travail et le temps a passé à grande vitesse. C'est exactement comme cette phrase "Où il est question d'amour sous différentes formes qui ne sont pas toujours romantiques", dirait encore ce-même Bouvard.

L'envie ne vient qu'avec l'expérience et pas par la surprise des décisions prises dans un espace de temps trop court pour cette question trouve une réponse toute faite. C'est le regard vers d'autres qui ont une famille au complet qui pourrait le confirmer ou l'infirmer. 

Le temps efface heureusement beaucoup de déconvenues, mais les impressions de ratages laissent un goût parfois amer dans l'arrière de la gorge. Alors, il faut le cracher très vite pour qu'elle ne devienne pas une maladie.

De la vieille école, il me fallait réussir sans trop me poser de questions. Réussir et arriver au bout de quelque chose sans penser. Réussir dans la vie et gagner d'argent, sont deux choses différentes mais que l'on associe trop facilement. Dans cette ascension au forcing, on oublie toujours quelques marches. 

S'embarrasser des critères de notre société contemporaine, il y a longtemps que je n'y pensais plus. J'ai fait ce que j'ai voulu, au moment voulu. L'après ne m'importunait pas trop. Dans le monde des adultes, je me suis rendu compte que ma mère si elle ne comprenait pas les choses, elle était encore plus loin de vouloir et de pouvoir les comprendre.

Était-ce une autre manière de déclarer que son quotidien lui paraissait décousu ou la dépassait lors de sa dernière question sur le lit de la souffrance? Rien n'est noir, rien n'est blanc. Certains le reconnaissent vite, d'autres jamais.

L'analyse intérieure n'était qu'une sorte de pré-formatage en fonction de son expérience propre et de son éducation.

Le soir, à côté du feu, on ne se sert pas uniquement du "Il était une fois...".

Cendrillon et le Magicien d'Oz, c'est du cinéma. Il n'y a pas de bons, pas de mauvais. Les hommes sont faibles. Les instincts sont souvent plus forts que la raison.

Le rêve de la vie de ma mère aurait été d'être ballerine ou danseuse. Le patinage sur glace la passionnait. Elle en aimait les compétitions. Elle rêvait dans ces moments-là.

Lire des livres de Slaughter, qui finissent bien, a été longtemps sa manière d'appréhender le monde. La source s'est tarie un jour sans qu'on s'en aperçoive.

Les dernières années de sa vie, plus aucun livre ne traînait sur la table. Le goût devait l'avoir quittée pour se retrancher sur son passé plus interne.

Le vert-de-gris s'installait progressivement, insidieusement.

Le sourire s'éteignait de concert. Les films ne devenaient que des images qui passent sans plus les comprendre juste pour passer le temps.

Ses amies lâchaient prise en séquence, l'une après l'autre. Il y avait le téléphone pour sortir de chez elle avec des nouvelles qui ne devenaient que des non-lieux, des phrases toutes faites, répétées à loisir, mais plus de rencontres insolites.

La passion ne sévit plus quand elle s'encroûte dans des nébuleuses des envies mal définies.

Si je me suis introduit dans cette vie en parallèle, elle ne pouvait pas me donner une tendresse qu'elle n'avait pas au fond d'elle-même.

Confucius disait "Quand vous rencontrez un homme vertueux, cherchez à l'égaler. Quand vous rencontrez un homme dénué de vertu, examinez vos propres manquements.".

- Dernière question. Quelle chanson vous touche par les sentiments intimes, rien qu'en l'écoutant?

- Je vous ais déjà répondu. L'envie nait toujours de quelque chose ou de quelqu'un qu'on n'a pas eu. "Mon vieux" de Daniel Guichard. 


 

...

12 - Rencontre avec un destin

« Quand tout va mal, regarde-toi dans le miroir. », Proverbe chinois

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- Pas mal, ce proverbe chinois. Êtes-vous d'accord?

- ...et quand tout va trop bien, cherche à le comprendre en effaçant le tain du miroir, un proverbe personnel. (sourire)

Les études, quand il faut choisir un avenir, avec ce qui est donné comme outils pour en décider, comme entourage disponible, peut donner des surprises. L'orientation professionnelle ne s'est jamais passionné à prouver de son efficacité. Pour le futur du jeune, à l'époque, elle était peut-être encore plus une affaire de coup de bol qu'aujourd'hui.

- Vous êtes devenu autodidacte?

- Peut-être. L'école a tellement de lacunes à combler pour faire entrer dans la vie d'adulte. Philippe Bouvard qui a suivi des chapitres d'autodidactes avec ses propres citations parfois très amusantes qui le prouve. Être à la bonne place, au bon moment fait partie de la réussite d'une vie. La bonne place se définit en fonction des gens que l'on rencontre et qui vous prendrons, un temps, sous leur protection. J'ai un faible pour les autodidactes qui réussissent. Oui. L'éducation n'est pas limité aux seules années de l'enfance et de l'adolescence. On continue toujours à apprendre si l'on veut vivre avec le maximum de chances. 

- Et vous avez choisi la science. 

- En fin de secondaire, j'avais bien le sentiment d'appartenir au monde de la science et moins à l'utilisation des connaissances liées aux lettres. La science a tellement de débouchés, disait-on. De la science, j'en avais manifestement le goût et l'envie. Mais, il fallait choisir au sortir de l'athénée. Profondément généraliste, je n'aime toujours pas aller dans trop de détails, ni me cantonner dans une imagination trop ciblée. Ce fut la science mais par une voie de traverse.

- Instable?

- Pas vraiment. J'ai reproché à mon double de rester muet dans ces temps de dilemmes. Des temps qui ont été des périodes de troubles intenses, jusqu'à la démesure. Au niveau parental, il ne fallait pas trop espérer avoir un conseil. La fin du secondaire fut donc une période de doute. Assimiler une matière, inventer de nouvelles voies mais surtout pas du gavage forcé. Toujours dans ma petite chambre au 3ème étage, qui faisait face à l'école primaire pour rester dans l'ambiance de l'étude, j'hésitais et cherchais toujours parmi les voies d'une tête bien faite, puisque celle de la tête bien pleine ne me convenait pas. Mon double arriva enfin pour me soutenir. Ce "copain" avait des ressources cachées. Il me suggéra la chimie. La chimie, métier d'avenir, qu'on disait à l'époque. La grande université, un monde inconnu qui fascine, devait dès lors être envisagé. Pas d'opposition, pas d'encouragement à espérer. Un faire valoir, peut-être, pour ma mère. Pas vraiment pour moi. Mais un scientifique, ça c'était sûr. Un esprit jamais satisfait. A l'enregistrement, cela se confirmait. Beaucoup d'impatients se pressaient dans la file. Eux, ils savaient visiblement où ils mettaient les pieds. Ils en connaissaient les filières et les avantages. Leur confiance me rassurait.

- Pourtant, vous avez passé ce chapitre de la chimie pour vous lancer dans tout autre chose.

- La chimie, c'était des formules, bien sûr. Passe encore; il suffit d'un peu de mémoire. C'était aussi des manipulations pratiques des éprouvettes au labo. Avec mon manque de passion pour tout ce qui était trop manuel, je me retrouvais légèrement déforcé dans la pratique. Une éprouvette qui se retrouvait brisée au sol, prouvait qu'il pouvait y avoir une erreur d'option prise. La Saint V m'avait laissé assez déçu. La bière ne m'a jamais intéressé énormément. Le baptême, une sorte de chausse-trappe avec des bleus consentants. Les seuls noms qui me restent en mémoire? Peut-être Lucie De Brouckère qui avait un charisme particulier. Qui donnait ses cours qu'il fallait assimiler et surtout pas apprendre par cœur. Elle détestait cela.

- Vous y êtes-vous infiltré entre les éprouvettes?

- Je tins bon. Oui. Mon double m'y encourageait: "Tu ne vas pas lâcher prise au milieu du gué", disait-il. Mais, je sentais que malgré tout qu'il n'aurait pas fallu beaucoup d'éléments pour me faire changer de direction. Le nucléaire, folie de l'époque, me bottait assez, mais c'était loin, très loin. Les années nécessaires passèrent à force d'opiniâtreté mais pas de conviction.

L'université suit une autre manière d'enseigner. Tous les appareillages de conduite disponible mais pas de mode d'emploi et pas de manuel d'entretien. Libre. Pas de contrôles de vitesses qu'à la sortie du circuit. La méthode m'allait en définitive assez bien pour donner le temps de la compréhension. Mais, étais-je fait pour la chimie? L'infiniment petit, l'atome m'avait plus intéressé que les molécules complexes de la chimie organique. La physique, peut-être? Je continuais à me tâter. Le temps passa et arriva le moment du point final.

- Et en définitive, qu'avez-vous décidé? Le travail, nous n'en avons pas encore parlé.

- Exact. La chimie, une science déjà ancienne pourtant. C'est alors ce que voulait dire "informatique" arriva à mes oreilles. Cette science était à ses débuts à cette époque. Cette science du numérique me fascina très vite. Des constructeurs, dans l'urgence, organisaient, seuls, des cours ex cathedra. Tout à écrire, tout à imaginer. Opportunisme total, de ma part. Et, ce fut le début d'une nouvelle aventure. Aventure qui a duré près de 40 ans. Être arrivé "just in time in a new environnement" est toujours une chance. Je parle en anglais, parce que c'est la langue véhiculaire dans cet environnement. Tout était à faire et à inventer. Le software de base avant celui de l'applicatif était une manière originale d'aborder ce monde des chiffres binaires qui ne voit une porte que comme étant ouverte ou fermée. Le boulot devenait un hobby comme un autre. Après, des pontes ont voulu dissocier le hardware du software. Quelle bonne idée. Moi qui ne voulait pas aller voir ce qu'il y avait sous le capot.

- Vous préférez l'invention à l'utilisation qu'à la conception. 

- Le développement est une forme d'invention, en effet, même si elle avait ses propres règles très limitées en possibilités à l'époque. Rien à voir avec aujourd'hui où l'on ne pense même plus à rationaliser l'espace pris par les données ni le temps pour les traiter. Mettre de l'ordre dans cet enchevêtrement de passages non cloutés, un paradis pour l'ambitieux de la bataille avec lui-même et une machine qui n'a rien à dire sinon obéir. Un match perpétuel où toutes les parties gagnent avec seulement l'opiniâtreté.

- Ce travail, que l'on connait pour être  stressant, vous plaisait?

- Quand le travail devient un hobby, ce n'est plus un travail. L'échec comme la réussite, sont parfois programmés à notre insu. Mais ce ne fut jamais un regret d'avoir coupé le fil de la chimie. D'abord dans de petites sociétés et ensuite dans une grande dans laquelle je suis resté pendant 30 ans dans la même entreprise.

- Regrettez-vous quelque chose à la suite de cette décision d'avoir abandonné ce qui vous avait intéressé jeune?

- Regretter n'importe quoi et pas uniquement dans ce cas précis, c'est du temps perdu. Du temps précieux qui ne vous permet pas de penser au présent et au futur. 

- Vous m'intéressez de plus en plus... Et votre entourage, des rencontres, des souvenirs?

- La rencontre avec le premier employeur qui me dit tout de go, "t'es un tiestu" (en Wallon, "têtu"). Sérieux s'abstenir. Etre "tiestu" a pris 40 ans. 

- Et votre épouse, elle aimait?

- La rencontre avec mon épouse, une rencontre de l'insolite. Très différente de mes passions. Un coup de foudre? Un complément parfait à ma propre personnalité? Il y a un peu de tout cela. L'informatique est resté pour elle comme King Kong que l'on aperçoit au bout de jumelles. Un King Kong que l'on a peur de rencontrer puisqu'on apprend vite comme étant très envahissant.

- Amusant. Votre épouse était complémentaire?

- Tout à fait. Elle avait ce que je n'avais pas. Elle a toujours eu un goût des belles choses bien supérieur au mien. Moi qui était le digne représentant de ma mère dans ce domaine, je n'aurais pu la suivre. Oui, j'ai aussi appris avec mon épouse, mon complément, comme j'aime le dire.

Le plus comique, c'est peut-être d'avoir vu la mise à la retraite prématurée de ma mère dès que ce qu'elle appelait les "foutues machines", se sont implantées péremptoirement dans la banque qui l'employait.

En milieu de parcours de mon destin dans la version numérique, une dizaine d'année de management m'a permis de constater qu'on arrive à un point où on n'est plus qu'une boîte aux lettres si l'on n'y prend garde. Gérer une "boutique" ne se fait pas uniquement de paroles en milieu de course. Mon département qui disparaît, un mauvais ou un bon coup de dés et ce fut le retour à la case départ du jeu de l'oie. Il faut toujours réserver ce jeu aux acteurs, aux "actings", et je vous l'ai dit, n'est pas acteur qui veut.

- La fin fut-elle douloureuse?

- Douloureuse, non, pas vraiment. Bizarre, oui. Mais on se rend vite compte que la vie réelle est parfois ailleurs que dans la virtualité des machines. La vie touche aux sciences humaines. La rupture numérique n'est pas une illusion d'optique. C'est par l'intermédiaire de la confiance, le rire, la psychologie et l'optimisme, qu'elles ont pris forme pour devenir mes guides. Il est clair que les sciences exactes m'attirent plus. La fin de carrière, ce fut de remarquer que même si on reste agile, on devient plus fragile. La timidité a fait partie de la première partie, mais en définitive, on arrive toujours à s'en soigner à condition de ne pas rester au milieu du gué comme porte-paroles.

- L'informatique a toujours le vent en poupe, non?

- C'est vrai. Je vais vous dire que bien avant les PC, avec une petite chiquenaude en plus, la petite équipe dans laquelle je travaillais aurait pu concurrencer Bill Gates sur les plans du software de base. Un accident d'avion de Cogar en a décidé autrement. Mais l'informatique a été aussi une "Grande Trappe", comme l'écrivait un GM avant de céder la place. Une trappe avant de devenir une "Grande Gaufre" lorsque j'ai remise l'histoire sur la table de la réflexion alors que le GM le demandait en fin de bouquin. Une grande trappe pour les sociétés qui ont disparu et une grande trappe pour les hommes qui gravitaient dans le milieu et à la périphérie de ce milieu. Ce que le GM en question n'a pas toujours mis en évidence avec emphase, ni à la bonne hauteur.

- Pas trop la sensation d'être un has-been?

- Devenir un "has been", on le devient de plus en plus tôt dans ce domaine de pointe. Tout va plus vite qu'ailleurs. Cela ne veut pas nécessairement dire qu'il faille "disparaître". Il s'agit surtout tenter de passer le relais à d'autres. Le jour de passer ce flambeau a été une occasion pour moi de préparer quelque chose qui m'était totalement inconnu: une mini-pièce de théâtre. Quelques petits rôles complémentaires parmi les spectateurs pour compléter un monologue bien préparé. Cela s'appelait "Rock around the clock", un titre qui m'avait beaucoup plu et qui représentait ce qui avait été le sentiment du moment. Il est toujours vrai.

- L'écriture, vous aimiez cela?

- Non, au départ, comme je vous ai décrit ma pauvre approche littéraire. Si vous vous souvenez de mes dons en dissertations et en rédactions (rires). C'était un galop d'essais, un challenge. Je n'avais jamais écrit une phrase littéraire avant cela. Un rapport d'exploitation, c'était tout. Jouer son propre rôle, plutôt que celui de quelqu'un d'autre, est déjà moins difficile. Les mimiques, les grimaces et les sourires sont plus vrais. La retraite était là où on existe pour d'autres et la recherche d'un autre hobby. Bizarrement, ce fut l'écriture que j'ai choisi et pas l'aspect manuel qu'une retraite peut apporter. Pour découvrir en définitive le pourquoi je n'étais pas bon dans ma jeunesse. Avoir le choix du sujet à disserter et avoir le temps de le penser, de le cogiter, de le secouer dans mon sommeil. 

- Une pause pour reprendre haleine ou atténuer l'excitation des retrouvailles?

- Pour les deux. Ceux qui croient gagner en permanence ne sont pas les meilleurs. J'aime les caractères opposés, les contrastes en tout. Les gens qui ont quelque chose à dire d'original, de surprenant. J'aime le classique mais pas le conventionnel. Prendre ses distances après avoir essayé de fusionner le non-fusionnable. Mais, il faut accepter la joute des pensées, sinon je m'évade sur la pointe des mots. Etre créatif, original, c'est accepter de faire beaucoup d'erreurs et de bides magistraux sans changer de politique et recommencer dans un autre contexte ou un autre cadre. L'honnêteté et la franchise peuvent être blessantes pour l'entourage. Il est toujours délicat de faire remarquer les incompréhensions de certains de manière humoristique, mais, cela passe mieux avec la légèreté et le sourire. 

- L'écriture, une nouvelle passion, donc?

- Il faut être passionné au moment où on fait les choses. Avant l'envie, c'est trop tôt. Après c'est trop tard. Fonctionner par la confiance plutôt que par la peur de l'autre et de ce qu'il en dirait.

- Individualiste?

- Etre individualiste, c'est accepter que l'autre peut l'être autant et vouloir exister par lui-même. Etre le tire-fesses quelques fois, plutôt que de se les faire tirer. Etre extraverti, c'est d'office déranger les introvertis dans leurs habitudes.

- La littérature, c'est tout autre chose que le numérique.       

- J'ai baigné dans le milieu numérique pendant trop longtemps pour ne pas en garder des traces indélébiles et une logique très particulière, même lors de l'écriture. Entre une idée de départ et l'arrivée, il y a un scénario qui doit tenir la route. Quand on se veut en plus éclectique, il y a de la matière à soulever.

- Avez-vous des regrets? Des choses que vous avez raté?

- Bien sûr. Apprendre la musique, le dessin, la peinture, les arts en général. Ne pas avoir de successeur pour transmettre un flambeau de l'expérience. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas être prêt à rebondir après avoir écrit son passe-muraille pour être plus sûr du présent et avoir plus de confiance dans le futur.  

Nous en parlerons la prochaine fois, si vous le voulez bien... car, c'est ici « Où j'ai le temps de réfléchir au calme et au frais », comme le penserait Bouvard encore une fois.


...

13 - Un enfoiré qui cherche son miroir

"Le besoin d'affabulation, c'est toujours un enfant qui refuse de grandir", Emile Ajar

0.jpg- Vous m'avez laissez sur ma faim. Et maintenant racontez-moi. Que faites-vous pour meubler vos temps libres? Donc, l'écriture...

- C'est déjà une histoire presque ancienne. Vers la fin de carrière, quand je sentais que mes jours étaient comptés dans les grandes entreprises humaines dites actives, je m'y suis préparé. En fin de carière, on devient trop cher. Un déclic, la visite d'un ponte des Etats-Unis qui était venu nous annoncer la "bonne nouvelle" d'une réforme de plus à envisager.

Arrivé "Où je profite du grand refroidissement pour rafraîchir ma mémoire", dixit Bouvard.

Cette fois, il fallait sortir des sentiers battus. Pas question de prendre les pinceaux, le papier à tapisser et tout le reste qui fait de vous, le petit bricoleur modèle. La photo, c'était déjà une passion ancienne, mais avec le numérique, plus question de passer au laboratoire, pour mélanger les couleurs, avec le révélateur, le fixateur, sous l'agrandisseur... On n'en était plus là. L'agrandisseur a été vendu par eBay et doit se retrouver quelque part, dans les mains d'une jeune étudiante en photographie.

Une solution, utiliser ce que j'avais développé dans le passé. Mais encore... Faire comme avant mais en plus de temps pour le faire? Donner des cours en bénévolat aux "suivants" ou aux parallèles moins privilégiés dans les connaissances d'aujourd'hui. Oui, mais encore faut-il des utilisateurs motivés qui correspondent à sa manière de penser. Internet, par exemple. Cela venait de s'ouvrir du côté des blogs et une autre envie germait déjà pour montrer qu'une évolution dans l'écriture s'était positionnée. Écrire une histoire, plus ou moins longue, par bribes alors que je n'avais jamais écrit une ligne en dehors de rapports fastidieux à écrire et à lire. Un journal personnel alors que je n'ai jamais eu le temps ni la volonté de l'aborder? Oui, pourquoi pas, une bonne idée de rester dans l'ombre et la solitude face à un écran. C'est ainsi, qu'on découvre, plus facilement, les autres enfoirés, les vrais de vrais, ceux qui se cacheraient derrière des noms plus exotiques ou des noms d'emprunts.

- Ecrire, mais quoi et comment?

- Choisir le type d'écriture.  Il y avait un pseudo à trouver pour être "à la mode de chez nous". Un premier article assez explicite et rebelle "Nous sommes tous responsables".

Des fois, je me demande ce qui a fait que j'ai choisi "l'enfoiré de service" comme j'ai aimé m'appeler dès le départ. Au service de qui d'ailleurs?

Tout cela écrit avec des prémices sous forme de feuillets dans un petit carnet quand j'en avais besoin tout jeune et qui ne me quitte plus quand je sors pour faire mon jogging ou mes promenades à vélo.  Ce sont les observations lors de ces promenades que commencent les bribes d'un futur billet.

Philippe Bouvard me donne trois options, trois questions pour l'occasion. Était-ce pour « Distribuer son CV à toutes fins utiles »? Une nouvelle version de «Où j'essaye pathétiquement à me rendre intéressant et je m'offre mon premier flashback»Ou, au contraire, pour trouver « Où je soupçonne la méchanceté de n'être pas morte avec moi, et, ainsi je règle mon compte avec ceux qui n'ont pas réglé mon cas »?

Pourquoi "de service"? J'étais au bout de la période des services. Carrière, sans rupture, sans creux, sinon parfois un doute ou un dilemme dans une orientation obligatoire sans perdre ses dernières cartouches.

- Cartouches? Vous en avez eu souvent besoin?

- Garder toujours une dernière cartouche, si le choix n'était pas conforme aux espérance, oui. C'est aussi imaginer une sortie sans attendre trop en se foutant du regard oblique des passants honnêtes qui ne pensent qu'à monter les échelons. Ce fut une chance énorme d'avoir pu réaliser cette transformation. Une contrepartie à l'enfance, moins réussie, comme je vous ai raconté.

- Sous le pseudo d'enfoiré, donc?

- Enfoiré, oui, là pas eu de gros problèmes pour choisir ce pseudo, en adresse email et en signature.

Bizarre, que ce pseudo ne m'aie pas demandé une recherche de longue haleine. Une timidité soignée que l'on remplacerait naturellement par son opposé, la provocation? La timidité était déjà bien longtemps remplacée par un esprit rebelle. Le côté extraverti, vient dans la lignée. 

- Une prémonition, ce pseudo? Une méchanceté cachée?

- Non, il y avait déjà Coluche qui m'avait montré le chemin. La méchanceté, ce fut celle que j'avais défini comme un art, et pas celle qui idiote ne dit pas son nom. Non, la raison principale, je dois l'avouer pour que «Les figures du passé m'aident à trouver le présent moins long», encore une de ses pensées qui vient à pieds joints avec un café bien serré. Tout cela avec un style qui préconise la parodie, la dérision et l'auto-dérision. 

Les nouvelles technologies avaient bouffé mes jeunes années, mes jours et mes heures. Il fallait bien que je me les récupère pour moi-même un jour, avec moins de rigueur que les réalités booléennes qui associent des "ou" et des "et" en excluant le reste.

Une page lourde d'événements du passé se tournait. C'est sûr. Des souvenirs, des réflexions à partager. Et parfois, aussi, remarquer qu'on fait les mêmes conneries.

- On est entré, là, dans le vif du sujet? 

- Oui. Où je m'offre les délicats plaisirs de revivre les meilleurs moments, pour avoir un but futur. Très probablement, une envie de renverser le trop plein d'émotions, de rires et, quelque part, de résignations. Il y a bien longtemps, travailler restait une issue vers le futur, vers un avenir que l'on pensait devoir toujours être meilleur. Il faut le constater, ce n'est plus dans l'air du temps. Le futur du travail en CDI est compté.

Les désillusions des jeunes, les ratés de nos civilisations dites évolutives, dévaluent plus qu'elles nous réévaluent.

La philosophie ne faisait pas partie de l'éducation, elle devient le faux-fuyant.

- Vous êtes devenu self made man"?

- En 'self made man', on en devient moins exigeant et plus résistant. Écouter devient une meilleure version que de seulement entendre et à réserver pour des moments de réflexions. La musique que je préfère, n'est jamais éloignée du classique et ressort depuis toujours sous une forme de "La symphonie fantastique" de Berlioz. Symphonie qui était présentée en 1830 par un autre solitaire qui avait une histoire chargée d'émotions. "Ma vie est un roman qui m'intéresse beaucoup", disait-il.

Si le sourire était à l'origine, l'envie de bouffonneries, d'humour pour tout et pour rien, n'était pas du parcours dès le départ mais ressortait progressivement pour ne pas prendre la grosse tête dans la soupe de la morosité ambiante. Quand on rie, on ne pense plus à rien d'autre. L'humour est un sport bien plus difficile que la tristesse, je vous l'assure. 

- N'êtes-vous pas devenu très individualiste?

- Quand on peut l'être, pourquoi ne pas l'être tout en restant humble? En position de faiblesse, là, on ne joue plus les forts en gueule; Ma belle-mère l'avait très bien assimilé et qu'il fallait plus donner pour garder un espoir de recevoir un peu en retour. Autodidacte, je l'ai été dans beaucoup de domaines puisque je me suis formé seul. La meilleure solidarité, c'est celle qui se passe dans un échanges de bons procédés dans le ring de la vie. Sans contre-partie, c'est une fausse solidarité. Je ne suis nullement un héros. Pour paraphraser quelqu'un, je dirais que "j'ai en moi cette froideur qui m'a permis de faire abstraction des agressions quand on a essayé de me déglinguer". 

- De la dérision ou de l'auto-dérision est-elle comprise?

- Si en théorie, l’auto-dérision, tout le monde en a, dans la pratique, pour la majorité d'entre nous, on en est très loin. Les gens aiment se faire caresser dans le sens du poil. Remonter un courant contraire, c'est, d'office, se faire traiter de "con".

Accepter les largesses dans les mots oblige d'accepter, de fait, ses faiblesses et ses forces. Comment déceler ce que l'autre a dans la tête si on n'est pas sûr de connaître la sienne? Les réflexions du miroir viennent de là.

Quelle est la limite de l'envie de rire? Je ne suis pas humoriste. Il faut tester cette envie sur soi avant de la proposer à son interlocuteur. Mon double ne faisait pas mieux. Il me testait. Et il échouait, parfois, lui-même, pas assez persuasif. Organiser, c'est se connaitre. Compter les bons points et trembler à la suite des mauvais. Mon double ne s'y est jamais trompé.

Après plusieurs mois d'écritures, j'ai éprouvé le besoin de montrer à ma mère une grosse farde qui contenait mes textes. La farde a été déplacée une fois ou deux de sa place d'origine, preuve qu'elle y avait jeté au coup d’œil. Aucun retour, aucun commentaire. Puis, la farde a pris ses quartiers d'hiver pour ne plus bouger et prendre la poussière dans un coin du living.

Je lui ai demandé alors ce qu'elle en avait pensé.

Sa réponse fut tellement traditionnelle pour elle qui ne pensait plus qu'à l'argent: "Qu'est-ce que cela t'a rapporté?". Je n'ai pas insisté. Aurait-elle pu comprendre que cet aspect ne m'avait même pas effleuré? Elle changea de conversation et je repris ma farde.

Elle ne trichait pas. Elle ne l'aurait pas pu. Etre joueuse de poker, ce n'était pas sa tasse de thé. Tricher aurait été pure affabulation, à ses yeux. Elle avait oublié de vivre autrement vers la fin du parcours, après avoir couru derrière des chimères et des rêves, dès le début.

"Rock around the clock", la recherche du temps perdu? Tiens cela me rappelle une autre sortie, une autre page que j'ai tourné.

- Racontez-moi cela.

- On croit que l'instinct maternel est automatique et naturel. Rien n'est plus faux. Ma mère ne l'avait pas. C'est le 20ème siècle qui a compris l'intérêt économique, social et militaire que l'on pouvait tirer de ce instinct matériel. Il a pris conscience des conséquences pour l'avenir d'un pays. Au 19ème, la mortalité infantile était importante, parce que les jeunes enfants étaient négligés. C'est devenu le mythe du Père Noël qui se répand dans le monde avec l'image de la mère responsable. C'est au moment où l'amour maternel ressort qu'elle s'affiche, et que les enfants deviennent grands, qu'ils reprochent à leur mère de ne pas s'être souciée d'eux.  

Rester dans le politiquement correct, dans les limites de la bienveillance est affaire très personnelle très susceptible à variations importantes qu'elle ne voulait pas assumer. Moi, j'en faisais une affaire plus générale en généraliste que j'ai toujours voulu jouer.

-Tiens vous parler de "politiquement correct", estimez-vous l'avoir été?

-Si j'avais été Benabar, j'aurais chanté son "Politiquement correct" avec d'autres paroles comme celles-ci:

Je n'ai qu'une mère et pas d'enfants, pas tentant?
Ni l'écrire ni le dire, peut-être, trop étouffant.
Maman, tu trouves ça peut-être passablement défait....
C'est que tu m'a appris à être insatisfait
Et pas étourdi !

Pas fumiste, je suis ni de droite ni de gauche et porte pas de dorures. Aucune conviction.
Je ne regrette pas d'être éclectique quand je sors la ramure
Je suis, je le répète : familialement incorrect
Mais très direct
Dans son ressenti !

Même à partir d'un diamant brut, il est toujours possible par la mécréance globale et avec l'ouverture d'esprit de tout ce qui n'est pas moi, de tailler ce diamant brut pour en faire un diamant aux multiples facettes opposées entre elles tout en laissant des impuretés observables uniquement avec une loupe.  
Je n'ai rien contre les poupées, je ne me sens pas menacé par des ennemis potentiels.“A lutter avec les mêmes armes que ton ennemi, tu deviendras comme lui.” disait Nietzsche.

Je ne pense pas que les momos ne sont pas suffisamment costauds et forcément mes amis.
Et si je rouspète sur le politiquement correcte
C'est quand je m'humecte
Ou quand j'dois faire pipi !
J'attaque la pensée unique,  je l'avoue laïc sans transes
Je ne crois pas qu'il y ait que des idiots parmi les panses
Je risque de te paraître, socialement incorrect
Ne me parle pas de secte
La réflexion, ça m'suffit !
Te sembler démagogue, en déconseillant d'avoir peur
Militer pour une vie solitaire mais sans leurres
Tu trouves ça naïf et bête d'être trop râleur
Tout dépendra de mon humeur
Sinon, je le nie.
Je m'adresse à tout le monde avec le sourire, machos ou chiennes
Pas de distinctions de race ou de couleurs, qu'elles restent siennes
On n'aime pas rire, on n'aime pas le dire, mais je m'en moque
Avec le sourire, c'est vrai parfois, je me doute que je choque
Mais, c'est ainsi.
P
as de complexes d'infériorité, aucun complexe de supériorité
A
vec une seule envie de penser
J
e ne suis pas politiquement incorrect.
D
u moment que l'on y détecte.
E
t que l'on y sourit.
D
e m'avoir laisser la bride au cou.
D
'avoir laisser à la ligne trop de mou.
J
e rechercher le dernier sou.
M
ême si c'est à feu doux.
M
aman, après je t'en remercie.

 - Belle reformulation. Dernière question, et si c'était à refaire, que changeriez-vous?

- J'ai déjà répondu à cette question. La conclusion, quant on se rappelle des premiers chapitres, pourrait être:  Stephan Hessel écrivait "Indignez-vous", à 94 ans. Donc, on a encore le temps pour le faire pour s'indigner en "dur" et sans humour.

Je ne dirai pas comme Philippe Bouvard que je travaillerai toujours jusqu'à la fin à bien plus de 80 ans. Il faut garder les moyens de sa politique et une politique qui ressemble à ses moyens. La tête et les jambes sont un mariage de raison que l'on espère maintenir.

Enfin, à toutes ces questions, nous y avons répondu ensemble parce que, je vous ai reconnu, vous m'interrogez alors que vous êtes mon double, mon subconscient.

 

La prochaine fois, pour la conclusion, je reprendrai le flambeau, en personne "simple", en "stand alone" comme on dit dans le monde numérisé.

...

14- Postface

« L'autobiographie est encore le meilleur moyen qu'on ait trouvé pour dire toute la vérité à propos des autres », Pierre Daninos

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Que dire à la fin d'une autobiographie? Qu'on a été heureux d'avoir été là? Qu'on a exister? Qu'on existe encore?

Avoir recherché le bonheur pour son entourage ainsi que pour soi-même, ne me semble pas une mauvaise interprétation de ce qui pourrait être un but ambitieux que l'on réussit parfois mais que l'on rate aussi.

Qu'on a eu de la chance d'être né au bon moment juste après la guerre et au bon endroit pour ne pas avoir sombré dans des affres d'une autre époque dans laquelle la drogue aurait pu faire des dégâts.

Après l'écriture de cette biographie, j'ai eu l'impression d'être libéré d'un poids lourd du passé et de pouvoir ainsi revivre avec une autre histoire plus personnelle celle-là.

Le souvenir est une question de mémoire. Mais ne pas en avoir permet d'effacer ce qui gène. Alors, il y a quelques personnes comme mon épouse et donc bien intentionnées, auraient voulu que je réédite cette opération ratée pour la continuation de la lignée. Une relation parents-enfants ratée? Non, le moule est cassé.

Je vis au présent et au futur à deux en passant entre les plis et les gouttes sans crainte de doutes de la vie. Je suis partant tant que la vie offre des jours heureux avec humour. Je ne crois pas mais je pense.

Ma mère avait décidé de mourir. Il doit y avoir eu un sentiment de dernière minute qu'elle avait dû raté une marche importante sur son chemin et que moi, j'étais arrivé pour l'enrayer.   

C'est remarqué que la destinée est parfois bizarre. La 3ème génération avant avait huit enfants fruits d'une arrière-grand-mère et deux arrières-grands-pères.

Deux noms de famille Vandenborre et Swenne. Il n'y a eu de suite que par l'intermédiaire du deuxième qui a continué le nom Swenne mais au Québec.

J'ai construit un arbre généalogique et je reçois encore des nouvelles des Swenne par l'intermédiaire de "Héritage".

Pour le reste, ce fut une véritable implosion pour différentes raisons: le "carpe diem" et parfois un athéisme latent.

Le hasard a fait que j'avais eu un mal à l'estomac quand, à l'âge de 6 ans, les flics m'ont demandé où je voulais aller, chez ma mère ou chez mon père. 

Une question énigmatique m'est venue et si j'avais voulu aller chez mon père, que me serait-il arrivé?   

J'ai eu la chance d'avoir choisi un métier qui correspondait à mes aspirations profondes, qui m'a permis de créer plutôt que d'être d'utilisateur de rêves des autres avant de m'y immiscer en finale comme les autres.

« Où j'ai constaté que plus on est mort, moins on vit et où je m'offre le délicat plaisir de revivre mes meilleurs moments», constatait Bouvard toujours en vie.

Entre la compréhension et la réalisation, il y a l'interprétation des événements.

Interpréter, à mettre en relation avec un espace-temps et s'en souvenir, une joie ou un remord.

Inventer ma vie, je n'aurais pu le faire, même si écrire des fictions me passionne.

J'ai cherché, fouillé, gratté, déterré, exhumé mes souvenirs de la seule mémoire puisque la plupart des photos n'existent plus. La mémoire reste paresseuse, hypocrite, même. Elle ne se rappelle que des meilleurs et des pires moments. Le reste est enfoui sous l'iceberg d'une pensée considérée comme trop banale. Elle relate des faits qui paraissent évidents, vraisemblables mais qui ne sont pas nécessairement la seule vérité. La vie active, je l'ai décrite, en détail, ailleurs.

Dans cette rétrospective autobiographique, j'ai essayé de ne pas y ajouter d'effets théâtraux. C'est déjà ça.     

Une seule introspection ne suffit pas. Il aurait fallu la mettre en correspondance avec les interlocuteurs de l'histoire puis avoir le courage d'en faire le contour avec une critique à froid. Il a fallu que je prenne un interlocuteur en référence pour écrire cette autobiographie et ce fut ma mère. Pour elle, ce fut l'argent qui représentait le but à atteindre, l'outil de ses fantasmes. Cette biographie a servi à ancré le passé quelue part dans un port avant de jeter l'ancre pour tout oublier de mon enfance et de mon adolescence en solitaire et pour renaitre avec mes propres volontés, seul ou mieux en couple. On devient individualiste à vivre pour soi mais pas même si ce n'est pas pour assurer la postérité.

Cette biographie en parallèle, j'aurais dû l'écrire plus tôt en sa présence pour la lui présenter et pour lui demander par après ce qu'elle en penserait.

Elle aurait peut être ajouté quelques secrets qui me seraient passés au bleu, avec un regard plus personnel et attentif que le mien.

Tout était pourtant là pour donner des envies communes qui allaient passer par notre imagination.
Il est fondamental d'accepter de faire le deuil de ce qui n'a pas été donné dans l'enfance en réponse aux envies dans le regard.
Fondamental de comprendre que, du fait de notre histoire, certaines personnes nous sont interdites dans la vie d'adulte.
Sous l'emprise de pulsion de vie, nous pouvons établir des relations avec d'autres plus bienveillantes avec lesquelles nous n'aurons jamais à nous battre pour qu'elles reconnaissent nos qualités. Tout individu s'offre l'occasion de revisiter des émotions non évacuées et donc de tenter de les réparer. 

Maman, tu avais envié les plus riches, tout en étant pingre pour toi-même et pour les autres. Tu as ainsi oublié de vivre en épargnant pour ta deuxième vie. Ce n'est pas ainsi que l'on peut motiver les autres dans la longueur.

Trop abstraites, les vraies raisons de ton mal-être pouvaient, pourtant, s'y déceler.

La vie était ailleurs. L'envie, pour toi, s'est traduite par le mot "jalousie" dans ton esprit. Ce sujet-là, c'est déjà un autre livre à écrire.

L'envie, sous cette forme, est une maladie incurable. Elle terrasse son malade sans se dénoncer et flétrit les deux bords d’une relation humaine. Le moment d'en prendre conscience, c'est déjà trop tard.

L’envie est toujours menée par ce qu’on n’a pas et que l’on voit dans l’assiette de l’autre. 
Tu as, maman, trop espérer des autres en n'investissant pas là où il le fallait. Tu dénonçais, pointais du doigt ta propre existence, en pure perte de moyens. 
Intéresser l'autre, par ses sentiments, par ta culture, tes expériences, sans intermédiaire, tu ne le pouvais. Des anecdotes existent pour le prouver. Défendre tes convictions avec des propres arguments, reconnaître tes erreurs et garder le plaisir de transmettre, garder un peu de folie, d'humour, c'est ce qui t'a surtout manqué.
Le piège de notre société de consommation ne t'avait même pas effleuré pourtant tu y as plongé, pieds joints.
Vers la fin, tu n'espérais plus rien, n'avais plus de projets. Dans ce cas, tu ne pouvais que devenir déçue de la vie et te renfermer dans un mutisme profond.

Avais-je été partiellement responsable de ce mutisme en tant qu'adulte? Peut-être.

Je voyais la vie autrement. Nous avons la fierté en commun. La fierté est une maladie contagieuse qui génère sous forme de ratés de cascadeur.

Tu avais besoin d'un gestionnaire de ton patrimoine. Un conseiller, toujours prêt à te recevoir avec le sourire, je ne pouvais pas te l'offrir pour construire tes rêves et tes fantasmes. Les conseilleurs sont, le plus souvent, les plus encaisseurs et les meilleurs "amis". Ce que je ne pouvais ni voulais devenir.

Ton «bâton de vieillesse» t'as déçu.

Mon «bâton de jeunesse» m'a manqué.

Entre les deux extrémités que de malentendus.

L'envie dans le regard, pour moi, était faite plutôt de choses bien naturelles qu'un jeune aurait pu espérer de la vie en famille et qui a manqué. 

Mon double a permis d'y échapper. Ce double imaginaire a évité beaucoup de pièges, mais aussi rater, peut-être, la montre en or. Un goût de la psychologie, de la lecture en soi et ensuite de l'écoute attentive des autres m'a permis de comprendre le "jeu d'échecs de la vie".

0.jpgTu n'as pas laissé de lettre comme testament qui aurait pu m'éclairer. Rien qui aurait pu expliquer le fond de ta manière de vivre. Tu avais voulu ta liberté pour papillonner plutôt que de laver les chaussettes d'un homme, comme tu le disais. Je te savais passionnée avec eux, pourtant.

Opérations sans lendemain car il n'y avait qu'un échange partiel et très temporel à la clé.

La danse, ta passion, s'est limitée, à la fin, à l'admiration d'une piste sur glace à la télé. Sans même en comprendre les règles. Le reste ne fut que des images qui passaient, très vite oubliées, dont tu n'aurais pu en discuter ni en retenir le contexte.

Ma lettre qui te serait destinée, ne serait pas du style de celle de Roland Magdane qui me fait sourire mais qui ne correspond pas à la situation, bien que Magdane fait partie de la même génération que la mienne.

Cet humour te faisait défaut et aurait dû être ta préoccupation pour remettre la balance en équilibre.
Que dire, sinon pardon d'avoir été là, puisque tu ne m'attendais pas.

« Ne pourrait-on pas fixer la Saint-Sylvestre au 15 août, afin que le père Noël évolue enfin dans des cheminées éteintes ? », imaginait Philippe Bouvard.

La période de Noël est réservée aux enfants. Les adultes font semblant de faire une parenthèse dans un espace restreint qui n'a même pas la durée d'un weekend. Pas de quoi pavoiser.

Noël est une période de cadeaux, de plaisirs forcés, qui crée artificiellement les envies mais qui fait découvrir, par effet miroir, qu'il peut se refléter sur soi.

Les meilleurs cadeaux sont ceux que l'on ne rêve pas et qui arrivent sans crier gare.

S'amuser, un fou rire, un rire, un sourire ne devraient pas être affaire d'exception.

Période de Noël que j'attendais hier, avec impatience et que je saute avec plaisir, aujourd'hui.

"Le Père Noël", il n'en a rien à cirer, cet imbécile.

Ta mort n'a pas généré mon élan d'écriture. Elle a servi de catalyseur, de fil conducteur dans cette "Envie dans le regard".

A cette occasion, les larmes, lors de ton départ, n'étaient pas vraiment au rendez-vous. Je m'en excuse. Mon double ne me l'a jamais imposé. Je n'influencerai pas son jugement.

Le rêve fait partie de l'impossible étoile comme le chantait Brel, mon aide-mémoire. C'est aussi le moment de se rendre compte qu'on apprend plus de ses ennemis de convictions que de ceux qui suivent la couleur locale ou qui font semblant d'être avec vous et qui ne pensent qu'à utiliser vos propres qualifications. C'est ainsi que l'on récolte une aversion de toutes censures sous le chapeau de faux médiateurs.

Mon oncle René avait été le seul qui a pu me conseiller correctement une vie potentielle. Ma tante Caroline et lui n'avaient pas eu d'enfants et voyait en moi une occasion d'orienter un jeune dans la vie. Ils n'avaient pas eu d'enfants et j'ai été sous leur protection.

- Ta mère a peut-être perfois le sourire, mais elle a surtout le sou rare, disait mon oncle.

Il avait déterminé en peu de mots ce qui manquait chez ma mère.

Puis, est arrivée celle qui sera mon épouse, deux ans après une rencontre. Elle a bousculé ma mère à tel point qu'elle a vu en elle une rivale. 

0.jpgUne épouse à mes côtés, depuis près de 40 ans, meuble les interstices de ma personnalité. Les trous de ma personne sont énormes sur certains objets ou sujets. Si les connaissances scolaires faisaient défaut, elle avait une intelligence trtès fine qui a compris quelles étaient mes lacunes aussi bien morales que sentimentales. Ce fut si l'on peut dire, un coup de foudre auquel on ne peut résister de part et d'autre.

Mon côté cartésien, ma logique implacable donnent des ressorts à toutes conversations passionnées. Je l'ai voulu ainsi même si je me rends compte que je l'ai aussi "perverti" à ma mesure ou à ma démesure. Elle est quelque part un roc qui offre le contraste idéal comme impétueuse mais une vraie moitié. Un goût que je lui réserve et que je n'aurai jamais.

Le goût de mon épouse pour les beaux objets fait partie d'un certain fétichisme. Sont-ils importants? Vaste question consumériste que les messages de la pub essaient de pousser. Ce n'est pas ma spécialité, je fais seulement confiance quand cela ne me touche pas de près.

Petite aux cheveux rouges sur la tête et dans le cœur, que l'on reconnait dans la rue entre mille.

Spéciale comme moi mais sur d'autres plans.

Une mère aimante de son côté qui m'avait adopté.

Ce ne fut pas de même avec ma mère qui a maintenu une distance avec sa belle fille tout en essayant de raccrocher les liens avec moi alors qu'ils étaient déjà depuis longtemps dissouts dans les brumes des souvenirs.

0.jpgUn pèlerinage sur les lieux d e mon mariage dans la maison communale et ce furent des vitraux qui me revenait en mémoire, après tant d'années.

La sensibilité de mon épouse m'impressionne. Son fétichisme des objets me questionne. Chacun ses prérogatives et affinités.

Difficile de vivre avec un "enfoiré". Rester calme dans une mer agitée devient alors l'art de la sagesse. Pas de bouderies, un passage obligé de la câlinerie avant un nouveau chapitre qui commence.0.jpg

"La solitude, ça n'existe pas", écrivais-je à cette occasion.

On ne nait pas solitaire, on le devient en fonction de son entourage. Et avec mon épouse, j'avais la conviction qu'elle disparaitrait définitivement.

Ma mère ne savait pas vieillir. Elle ne le suportait pas.

Quelques jours avant sa mort, j'ai dit bêtement la lapalissade au médecin.

- Ne vous en faite pas, cinq minutes avant de mourir, elle vivrait encore. 

Après sa mort, l'infirmière qui m'en avait averti, m'a révélé que de guerre lasse, elle avait accepté sa mortalité, enfin. Elle qui avait creusé sa solitude avec des hommes qui n'étaient pas faits pour elle et qui ont joué avec elle et que l'on rejette après usage. La nymphomanie ne peut fonctionner très longtemps.

La solitude, ça n'existe que sur demande ou par une mauvaise connaissance psychologique des autres quand on aurait pu le comprendre à réfléchir seule sans prendre le courage d'en discuter à deux ou à plusieurs en cherchant des mots en commun.

Perdu en forêt, avec les couleurs automnales, il y a des moments de plénitude que je ne partage qu'avec moi-même. Je suis resté solitiare à certains moments sans itinéraire prédéfini ni précis dans une aventure pure à petite échelle.

"Où la Toussaint me redonne un peu le moral", comme le pense Bouvard.

Pensée qui correspond à l'automne, ma saison préférée pour les photographies.

S'intéresser à tout ce qui se passe devant mes yeux, une jouissance et une liberté. Tout est dans tout et inversement, mais encore faut-il en chercher les liens entre ses membres qui constituent ce "tout".

Fin de chaîne, je me demande si j'aurais été un bon père alors que je m'étais saoulé par le travail. Une fille aurait été bienvenue. Mais, on ne peut pas tout avoir. La chance ne passe pas tous les jours et elle est très restrictive. Plus personne avant non plus.

Aucune volonté de passer mon ADN à un suivant qui serait venu par accident.

Adopter, j'y ai pensé et mais l'idée n'a pas été acceptée par ma moitié. 

Le fameux devoir de mémoire que l'on se transmet de génération en génération, je n'aurai pas à l'avoir et à le faire.

La famille de mon côté et de ceux que j'ai connu, s'est éteinte.

L'oncle Alphonse avait un fils unique, Henri, décédé du cancer des sinus. Pas eu d'enfants. Son épouse, Godelieve vit probablement encore.

Tante Maria avait une fille unique, Marie, décédée, pas eu d'enfant.

Tante Caroline et Oncle René, tous deux décédés, sans successeurs.

J'ai dressé un arbre généalogique de la famille.

Très peu, trop peu complète.

A quoi bon la remplir puisque même ma demi-sœur, je ne l'ai pas connue.

Des inconnus et inconnues 'célèbres' forment peut-être d'autres cases vides en des bouts de chaîne.

Ainsi vont les vies qui se croisent sans se rencontrer, faces à des prétentions, des envies qui donnent le tournis et des résultats complètement aléatoires.

Chacun arrive au jour "Où je me résigne à ne plus être informé d'une actualité qui se passe de moi". C'était ce que devait ressentir ma mère avec ce flambeau que l'on se refile de génération en génération.
 
La Toussaint, c'est aussi la période où je me retrouve devant la tombe de ma mère et « Où je suggère de transformer les cimetières de notables en parc d'attraction », comme terminerait cet autre "enfoiré" de Bouvard.
 
Faire suivre Philippe Bouvard avec les titres de ses derniers livres biographiques, m'a  paru très amusant. Ils m'ont beaucoup inspiré pour trouver certains chemins qui se ressemblaient.
Merci, Philippe.
Avec près de 20 ans de plus que moi, je me suis permis d'emprunter quelques titres de chapitres de ce roman dans le mien. Pur hasard de parallèles.
"Fils unique, j'avais tout pour être heureux et j'ai été malheureux. D'origine juive et baptisé avant de ne plus fréquenter les églises, je ne me reconnaissais dans aucune culte. Curieux de tout, mais autodidacte, fait qui n'a plus sa place aujourd'hui. J'ai une fierté quand je passe devant un théâtre où flamboient les noms de mes anciens pensionnaires." ", avoue-t-il.
Le "Je suis mort. Et alors" ratissait dans l'humour noir à titre posthume. "Des funérailles de l’auteur aux premiers jours de solitude totale dans le cercueil, des voisins de caveaux muets aux souvenirs du passé qui eux peuvent remonter à la surface, des questions sur l’âge, la maladie, Dieu, la famille, les femmes aux réflexions sur notre monde, cet ouvrage est un délice d’humour noir... autant qu’une ode à la vie." 

0.jpgIl est dit dans le suivant "Ma vie d'avant, Ma vie d'après", "Dix années ont passé depuis la disparition de l'auteur et sa résurrection dans les librairies. Faute d'autres occupations, il continue à observer la vie quotidienne des morts, de leurs familles, du petit peuple des cimetières et à dicter ses impressions. Il profite également de ses états de conscience pour oublier qu'il n'a plus d'avenir dans l'évocation d'un passé de plus en plus lointain. Ayant bénéficié du privilège d'attendre son dernier soupir pour retomber en enfance, le condamné à perpète de la douzième division remercie ceux qui ont honoré sa mémoire en mettant à contribution la sienne.

Surgissent tous les fantômes de ses jeunes années. Moins la saga d'un gamin qui se prend pour Napoléon avant que ses parents ne lui promettent la fin de Louis XVI que la peinture par un historien en herbe d'une 'drôle de guerre' suivie d'une curieuse paix. Chemin faisant, il tire à boulets rouges sur une société dont il se souvient que le pouvoir de persécution s'arrête devant la grille des nécropoles".

Il faudra un jour que j'y pense et que j'écrive la suite de l'histoire. Mais, on a le temps. On a toujours le temps pour ça.

L'incompatibilité se trouvait, chez vous, Philippe, dans le fait de n'avoir pas trouvé une école avec des professeurs dont le langage était susceptible de vous faire aimer l'école. 

Je l'ai aimée, cette école, sans y trouver, pourtant, tout ce que j'y cherchais. Quelques bons professeurs qui comprenaient la différence entre charger la 'chaudière' des connaissances et faire comprendre ce qu'on pouvait en faire.  

Je suis aussi autodidacte, comme vous. Je l'ai été dans pas mal d'autres domaines. Curieux de tout, de ce qui normalement ne devrait qu'effleurer la carapace de mon indifférence. On apprend plus de la vie après les études que pendant.

Vous n'aviez pas de hobby, dites-vous. J'en ai eu des hobbies, de très différents, des phobies, peut-être aussi. Pour vous, c'était, très certainement, dans la lumière à utiliser votre temps, à le compter et à le décompter, en riant aux éclats avec vos contacts médiatiques ou médiatisés. Je suis resté dans l'ombre, sans y rester coincé. Chacun son truc à plumes ou à poils et la manière de les lisser.

C'est alors, qu'un jour, par hasard, je suis tombé sur un article. On parlait de l'analyse qu'avait fait la psychologue, psychothérapeute, Marie Andersen. Analyse qui correspondait aux raisons de ce que je suis devenu, quitte à en devenir caricaturale à certains moments. 

Elle disait encore que "les années d'enfances modèlent notre sensibilité, confirme ou contredit notre tempérament. L'environnement imprime des croyances, développe ou étouffe des émotions, forge notre façon de voir la vie et les relations. Si nous nous emportons c'est un héritage de notre passé. Le choix de notre conjoint, l'envie ou non de fonder une famille a pu être influencer par ce bagage psychique inconscient. L'enfant comprend d'instinct que s'il veut être aimé et reconnu, il doit adopter le comportement qui colle aux attentes de ses parents. Pour en sortir, il s'agit dès lors de travailler sur soi pour identifier les émotions que nous avons refoulées ou niées, les apprivoiser et apprendre à les exprimer de façon plus juste, par la réflexion. L'enfant "sage" a, cette fois, un tempérament assez fort. Il l'a accentué et est devenu un adulte rebelle, incapable de supporter toute forme de soumission à l'autorité. Résultat: il prend toujours le contre-pied de tous, simplement pour exister.
P
our le comprendre, nous sommes au cœur d'une "constellation familiale" qui inclue tous les antécédents familiaux et qui crée des blocages, des malaises et des comportements par 'loyauté' envers le système familial".

Là, on remarque que l'on n'est plus un cas unique, un objet de foire. Être "rebelle", on en reconnaît certaines sources, là, « Où je reviens sur ce que privé d'estomac, je n'ai toujours pas digéré, mais où, regrettant ce qui ne me donnait pas toute satisfaction, je ressens la vieillesse comme une réussite puisque tout le monde n'y parvient pas, en essayant pathétiquement à me rendre encore intéressant », ajouterait une dernière fois, Bouvard, pour la cause.

Ce qui n'est pas, totalement, ce qu'il faudrait adopter comme attitude. Vivre, c'est toujours continuer à apprendre. La nostalgie est une maladie de l'esprit qui se guérit mieux en pensant plus au présent qu'au futur.

Qu'ai-je appris de ma mère?

La liberté, tout d'abord. Le goût du voyage. La sobriété (parfois à l'extrême), à épargner pour le futur, à rationaliser en cherchant les meilleures solutions avec opportunisme.

L'envie que j'ai eu dans le regard, je ne pense pas que vous avez découvert de laquelle il s'agit. Je le tiendrai pour moi.

Après, que dire, que conseiller?

Sinon que de garder toujours des envies et pas uniquement dans le regard. 

Guy alias l'enfoiré 

 

Commentaires

Encore une fois mon cher Guy je serai au rendez-vous. L'important n'est pas dans la forme mais dans le contenu. La forme soutient le contenu. Et le contenu est essentiel sinon fondamental à la forme. L'écriture est parfois exutoire. Elle est parfois réparatrice. Elle est parfois inspiration brute. Il convient à chacun de s'en imprégner et d'entrer avec délicatesse dans l'univers du narrateur. Il y aura bien sûr les mots. Il y aura aussi le non-dit. De tout cela jaillira ou non une lecture passionnante. Pour peu qu'on le veuille bien, la passion devrait être également au rendez-vous.

Pierre R.

Écrit par : Pierre R. Chantelois | 26/11/2011

Il y aura de tout cela, cher Pierre. Je promets.
Rendez-vous mercredi. :-)

Écrit par : L'enfoiré | 26/11/2011

Cher Guy ,

Un narrateur qui ecrit sur sa propre famille est un acte de courrage , et dans la narration
le courage est un acte de culture. On dit qu'il ne faut pas chercher la realite dans les mots , mais les mots dans la realite.
Je te souhaite bonne chance avec conviction que la chance aide les gens courrageux.
Moi aussi je serai mercredi au rencez-vous.
Bonne soiree
Nina

Écrit par : Nina Georgescu | 26/11/2011

Chère Nina,
Je ne sais si c'est du courage. C'est plutôt du raisonnement après coup, très longtemps après.
La vie est pleine d'embuches, de situations inattendues. Au début, l'enfant croit que c'est normal, la manière dont il est traité.
J'ai peu de souvenirs d'une certaine période.
Alors, je me suis basé sur ce qu'on en disait avec humour, sans intention de donner un aspect négatif.
Bonne soirée

Écrit par : L'enfoiré | 26/11/2011

Rien ne s'oppose à la nuit, vos nuits sont plus belles que vos jours, la nuit terre de toutes les angoisses et de tous les fantasmes aussi...
Delphine de Vigan, que je n'ai pas encore lue, a déjà 2 talents :
avoir trouvé un titre très beau
avoir exposé son visage très beau
Rien ne s'oppose plus à lire alors Delphine de Vigan...

Écrit par : Raphael | 27/11/2011

Je l'ai lu, Raphael.
J'espère que vous aimez aussi mon titre. :-)

Écrit par : L'enfoiré | 27/11/2011

Coïncidence, je viens d'apprendre que Patrick Poivre d'Arvor qui est né le même mois que moi-même, sort un nouveau livre sur le même sujet avec comme titre "L'expression des sentiments".

Écrit par : L'enfoiré | 27/11/2011

Je viens de lire ce nouveau PPDA, ce matin.
Très différent. Intéressant de lire les biographies d'autres pour ne rien perdre pour la sienne.

Écrit par : L'enfoiré | 28/11/2011

Écrit par : L'enfoiré | 21/06/2020

Cher Guy ,
Elle est triste au depart ta semi-autobiographie.
Ce n'est pas chose facile de remonter le fil d'une
telle histoire. C'est toi qui qui a pris cette decision ,
et nous te suivons pour voir ce qui va suivre.
Tres amicalement
Nina

Écrit par : Nina Georgescu | 05/12/2011

Chère Nina,
Désolé. Triste, oui. Prendre cette décision était une thérapie personnelle. Il y a trois ans.

Écrit par : L'enfoiré | 05/12/2011

Écrit par : L'enfoiré | 21/06/2020

Cher Guy ,
J'ai ecoute les deux chansons.
J'aime Aznavour mais je n'avais pas encore connu
la chanson "Le temps des uns , le temps des
autres". Les paroles sont toute une philosophie
relative au Temps.
On parle de plus en plus d'une therapie par la musique.
Est-ce-que ta mere aimait la musique ? Et quelle musique ?
Bonne soiree
Nina

Écrit par : Nina Georgescu | 09/12/2011

Chère Nina,
Désolé de venir si tard par ici.
J'adore la chanson de Charles Aznavour.
Je la fredonne sans m'en rendre compte.
Bonne question de savoir si ma mère aimait la musique et laquelle.
En fait, comme elle a toujours aimé danser, c'est donc oui.
Quel genre, la musique de crooner, languissante.
Dès qu'on est passé à des musiques plus rythmées, elle a décroché.

Écrit par : L'enfoiré | 14/12/2011

Écrit par : L'enfoiré | 21/06/2020

Nous sommes la Déesse Originelle; Des Êtres Hautement Évoluées sur le plan Spirituel; Les Déesses suivantes; Lima Divinité Incarnée; Frigg Divinité Incarnée; Admée Divinité Incarnée; Épona Divinité Incarnée; Ishtar Divinité Incarnée; Sekhmet Divinité Incarnée; Lao-Tseu Divinité Incarnée; Tara Blanche Divinité Incarnée; Amaterasu Divinité Incarnée; Kali Divinité Incarnée; Marie Divinité Incarnée; Manat Divinité Incarnée; Odin Divinité Incarnée; Poséidon Divinité Incarnée; Nous sommes Âmemour avec Toi

Écrit par : Poséidon | 05/01/2012

Dieu de la mer, en as-tu d'autres dans tes vagues? :-)
http://mythologica.fr/grec/poseidon.htm

Écrit par : L'enfoiré | 05/01/2012

Écrit par : L'enfoiré | 21/06/2020

Le petit cannibal deguise en fillette est charmant , mais pourquoi
mordre les fesses a Gauche et non pas a Droite ? Ceci laisse des traces
dans le sous-conscient. Ou je me trompe , peut-etre.
Nina

Écrit par : Nina Georgescu | 25/12/2011

Excellent ce commentaire....
En fait, à cet âge, j'aurais pu mordre n'importe quelle fesse, qu'elle soit en haut et en bas.
On devient ambidextre de la mâchoire. :-)

Écrit par : L'enfoiré | 26/12/2011

Écrit par : L'enfoiré | 21/06/2020

"Feu vert à Jacques Careuil" tel est le titre de l'autobiographie de cet animateur-vedette de la RTBF au visage poupin et à la voix reconnaissable entre toutes. Il parle du succès dans un chapitre:
"Quand vous tenez un succès, gardez-le! Il vous apparaitre un jour que vous n'êtes pas assez payé, que vous êtes exploité, que votre nom vaut de l'argent, que vous aimeriez faire autre chose de plus valorisant... Mais le jour où vous claquerez la porte, où même si vous partez sans faire de bruit, personne, non personne, ne vous tendra la main et on ne fera non plus jamais aucun bruit autour de vous. J'ajouterai que vos amis, collègues, compagnons de route seront bien heureux, même s'ils prétendent le contraire. de prendre sinon votre place, un budget vacant et une tranche horaire libre. C'est humain. Nous ne sommes rien dans la grande machine des médias. On nous le laisse croire et le public nous invite à imaginer que nous sommes importants. Mais nous sommes jetables comme des mouchoirs en papier. Après, longtemps après, il vous restera les souvenirs à consigner dans un livre."

76 ans, Jacques Careuil. S'il avait vécu ses derniers instants, aujourd'hui, peut-être aurait-il été viré et non remplacé. Tout est une question d'époque.
Parfois avoir un peu d'avance peut arranger bien des choses.

Écrit par : L'enfoiré | 28/04/2012

« Ce qui est désolant, c'est que sous le couvert de pseudos, la méchanceté gratuite a souvent tendance à exploser. La vie actuelle est plus agressive, pourquoi pas leurs reflets. Le pseudo, faussement incognito, donne de l'assurance à l'auteur "disgracieux" ou "irrespectueux". Plus besoin d'être original et humoristique sans étiquette. Les réponses deviennent partielles et partiales. On élimine les points qui dérangent. Le jeu de ping-pong est sans allant. C'est un combat entre un mouton et un moutonné à qui perd gagne. La victoire à la Pyrrhus finale, dégoûtera son vainqueur. Dès lors, si on n'a pas atteint le fond, on commence très vite à en sentir les odeurs.«

Bonjour Guy

Cette longue citation, tirée d'un article de ton blogue, édition 2009, je l'endosse parfaitement. Je ne m'inscris pas sous un pseudonyme en spécialiste polyvalent qui distribue des conseils à tout venant. Je n'utilise jamais un pseudonyme. Toutes mes réponses ou commentaires ou répliques portent ma signature. Si je commets une erreur, je n'ai nul besoin de me réfugier derrière un anonymat quelconque.

Et cette mère qui ne trichait pas avait peut-être raison de s'interroger. La méchanceté pour la méchanceté, cela sert à quoi? Sa réponse fut tellement traditionnelle pour elle qui ne pensait plus qu'à l'argent, écrivez-vous? Et si cela était son anonymat bien à elle pour qu'on ne découvre sa sensibilité toute intérieure et sa soupape de sécurité?

En terminant, mon cher Guy, je rappellerai cette petite phrase intéressante d'Amélie Nothomb : Bien plus des les problèmes métaphysiques, ce sont les infimes contrariétés qui signalent l'absurdité de l'existence

Pierre R. Chantelois

Écrit par : Pierre R. Chantelois | 03/05/2012

Je continue la citation:
"Chacun a sa technique de réponse aux invectives. Fabriquer sa réplique est affaire de doigté et de persuasion qui se veut un correspondant à la hauteur. Pas de secret, pas d'adaptation d'une situation sur une autre. Du coup par coup. Pas d'ego transposable vers un autre. Seulement des règles de respect de règles implicites du "jeu" mais qui ferait patiner l'originalité. L'art de la méchanceté se joue comme la vie. Rien n'est gratuit. La faille, chez l'autre, se découvre parfois après des recherches. Sans mentir ou pervertir la réalité."

Je me souviens de ce billet. Le pseudo n'est pas vraiment un problème majeur si celui qui a été choisi correspond au sens général que veut exprimer un auteur. Le nom propre, on ne le choisit pas et il n'exprime rien. Par contre, un pseudo du type FrV543 par exemple, me gène. On confond le pseudo avec un mot de passe. Aujourd'hui, l'identification par l'IP est toujours possible, si "extravagance", il y a.

"Et si cela était son anonymat bien à elle pour qu'on ne découvre sa sensibilité toute intérieure et sa soupape de sécurité? "
Bonne question. Mais il arrive que la soupape de sécurité dépasse l'entendement qui ne correspond pas à la manière de vivre. On n'épargne jamais pour sa deuxième vie. Les Pharaons le pensaient peut-être, mais...
L'amour ne s'achète pas. Il se construit dans le temps et les épreuves.

Écrit par : L'enfoiré | 04/05/2012

Écrit par : L'enfoiré | 21/06/2020

Le film "Maman"
http://cinema.jeuxactu.com/news-maman-bande-annonce-17911.htm

Caricature?
Deux épisodes, tiens cela ressemble

Écrit par : L'enfoiré | 06/05/2012

Charles Berling a écrit son autobiographie dans "Aujourd'hui, maman est morte".
Il y dit: "L'écriture m'a sauvé de l'autodestruction.
A la base une existence tumultueuse des Berling en Afrique du Nord. Cinq frères et soeurs.
Ma mère, femme très violente par habitude à voir ses propres parents. Moi, violent pour ne pas aller à l'autodestruction. J'aurais pu mal tourner, partir à la drogue. La rage hallucinante où on ne sent plus rien, je l'ai connue.
Le bien et le mal n'existe pas, seul l'art de l'écriture ou de la musique permet de l'exprimer.
Je suis comme Saint Thomas. Je ne comprend que ce que j'écoute.
Les bonnes idées prodiguées, je m'en fous.

Écrit par : L'enfoiré | 26/11/2012

Rien de similaire au départ.
Beaucoup de ressemblances en finale.

Écrit par : L'enfoiré | 26/11/2012

Comme j'ai beaucoup utilisé ses dictons....>>>


"Je ne peux pas m'arrêter, j'ai peur de manquer"
Interview avec Philippe Bouvard
07 septembre 2014 08:42
Martine Maelschalck

À 84 ans, Philippe Bouvard a un emploi du temps de jeune homme: rédaction d’éditos et de chroniques, émission de radio, écriture de livres… Sa boulimie de travail lui viendrait d’une enfance marquée par la guerre et la peur de manquer. "Je ne peux pas arrêter, impossible. Ou alors il faut qu’on m’arrête."
Après 62 ans de journalisme, 15.000 émissions de radio et des milliers d’interviews, il continue à jongler avec les mots. La seule chose qu’il sait faire, dit-il, faux modeste.
"J’aurais bien aimé trouver la foi, mais tous les ecclésiastiques auxquels je me suis adressé n’étaient pas intéressés par ma belle âme…"
L’antre parisien de Philippe Bouvard vaut le déplacement: après avoir formé le code de la porte d’entrée d’un banal immeuble du 17e arrondissement qu’on traverse ensuite de part en part, il faut sonner à une grille fraîchement repeinte de vert, qui ouvre sur un adorable jardin et un charmant hôtel particulier, qu’on dirait appartenir à un notable qui a bien réussi dans la vie. "Il y a plus de 25 ans que je vis ici; c’est une petite maison de province à 3 minutes à pied des Champs Elysées."
À l’étage, l’un des centres névralgiques de l’infatigable journaliste et chroniqueur: sa bibliothèque. Une pièce entièrement tapissée de livres anciens et le bureau où il enregistre ses chroniques (le studio portable est l’un des seuls sacrifices à la modernité). Cette bibliothèque, c’était l’un des trois rêves d’enfant du petit Philippe Bouvard, les deux autres étant d’occuper le fauteuil de Pierre Lazareff et d’avoir son propre théâtre. Il les a tous réalisés, puisqu’il a été patron de "France-Soir" et qu’il a dirigé, pendant 16 ans, la salle de spectacles Gaîté-Bobino.
Célèbre dans toute la France pour avoir animé l’émission de radio "Les Grosses Têtes" pendant 37 ans (jusqu’à cet été), le petit homme rondouillard aux yeux malicieux est également connu et apprécié en Belgique. La semaine dernière, il a reçu, chez nous, un hommage dont il ne s’est pas encore remis. "C’était mieux que bien. Je suis revenu de Bruxelles, mais je ne suis pas revenu de l’accueil qu’on m’a fait! C’est fabuleux. D’abord, les Belges m’aiment bien, peut-être parce qu’ils sentent que je les aime aussi. Je suis plutôt joyeux, bon vivant et pas compliqué. Mais je crois que je dois la plus grande partie de ma popularité en Belgique au fait que les Belges écoutaient les ‘Grosses Têtes’ sur Bel RTL."

COPY OF BOUVARD
philippe bouvard
Né le 6 décembre 1929 à Coulommiers.
Marié, deux enfants.
1948: Ecole supérieure de journalisme à Paris, qu’il quitte après quelques mois.
1953: entre comme coursier au service photo du "Figaro".
1977: début des "Grosses Têtes" sur RTL, remercié en 1999 et retour en 2001. Il quitte l’animation de l’émission en 2014.
1982-85: "Le Petit théâtre de Bouvard" sur Antenne 2, il accueille Chevallier et Laspalès, Mimie Mathy, les Inconnus…
1987-2003: directeur de la rédaction de "France-Soir".
1990-2006: dirige la salle de spectacles Gaîté-Bobino.

Son périple bruxellois l’a mené des studios de RTL, où il a enregistré une émission qui sera diffusée en radio ce samedi, au cercle B19, puis à un dîner de gala… Avant le Palais d’Egmont, le lendemain, où le ministre des Affaires étrangères Didier Reynders a remis la décoration de commandeur de l’ordre de la Couronne à un Bouvard sous le charme. Interview, entre moments d’émotion et formules à l’emporte-pièce.

La fin de vos "Grosses Têtes", c’était un choc?

J’ai tourné la page, ça y est, et je suis en train d’en écrire d’autres.

Vous avez passé vos vacances là-dessus?

Non, je ne prends jamais de vacances. J’ai une maison à Cannes et généralement, en été, je dépasse rarement 5 ou 6 heures par jour. Mais je continue à faire, tous les jours, mon éditorial en première page de "Nice Matin" et ma chronique du "Figaro Magazine". J’ai aussi relu les pages du livre qui vient de paraître (publié chez Flammarion, il sort ce samedi en Belgique, NDLR), "Bouvard de A à Z", 2.000 formules que j’ai choisi de publier. Ma vraie actualité, c’est ce livre. J’ai aussi passé mon été à écrire la moitié d’un roman qui paraîtra l’année prochaine.

Cela raconte quoi?

Ce sera un regard sur la Côte d’Azur et le monde des jeux.

"Au jeu, j’ai échangé beaucoup d’argent contre un peu d’adrénaline. (…) Le joueur a beaucoup plus d’émotion dans la perte que dans le gain."
À peine avez-vous dit adieu aux Grosses Têtes que vous démarrez une émission, "Allô Bouvard", le week-end sur RTL.

C’est une émission qui me tenait à cœur, dont le défi consiste à inverser l’interactivité radiophonique. D’habitude, c’est un journaliste qui demande leur avis aux auditeurs et là, ce sont des auditeurs qui demandent son avis à un journaliste. C’est une manière d’utiliser ce que j’ai vu, entendu et parfois compris (sourire) en 62 ans de journalisme.

62 ans de métier… On dit que vous avez réalisé 35.000 interviews?

Si on est dans les chiffres, j’ai aussi fait 15.000 émissions de radio et 8.000 émissions de télévision… mais c’est parce que la durée de mon parcours est aussi très au-delà de la moyenne nationale. (Sourire.)

C’est tellement difficile d’arrêter?

C’est impossible. Il faut qu’on vous arrête… ce qu’on a fait pour les "Grosses Têtes". Mais bon, on m’a arrêté un dimanche et, cinq jours après, je commençais une nouvelle émission. D’ailleurs, dès que notre conversation est terminée, il faut que je retourne travailler.

Vous avez aussi une chronique tous les matins sur Bel RTL…

Oui, et cela, je ne l’avais jamais fait avant. Cela remplace au moins partiellement la rediffusion en temps réel des "Grosses Têtes" par Bel RTL.

Pourquoi travaillez-vous autant?

J’ai été un cancre et un paresseux durant les 22 premières années de ma vie. Alors, depuis, je me rattrape… Il y a une loi des compensations qui dit que, quand on n’a pas fait certaines choses, il faut les faire plus tard. Moi, je n’ai pas travaillé quand j’étais jeune et depuis, je suis aux travaux forcés. Enfin, aux travaux forcés… mais je ne suis jamais allé à mon bureau entre deux gendarmes! Je travaille parce que j’aime ça. Et que je ne sais pas faire autre chose.

CV EXPRESS
Philippe Bouvard
Né le 6 décembre 1929 à Coulommiers.
Marié, deux enfants.
1948: Ecole supérieure de journalisme à Paris, qu’il quitte après quelques mois.
1953: entre comme coursier au service photo du "Figaro".
1977: début des "Grosses Têtes" sur RTL, remercié en 1999 et retour en 2001. Il quitte l’animation de l’émission en 2014.
1982-85: "Le Petit théâtre de Bouvard" sur Antenne 2, il accueille Chevallier et Laspalès, Mimie Mathy, les Inconnus…
1987-2003: directeur de la rédaction de "France-Soir".
1990-2006: dirige la salle de spectacles Gaîté-Bobino.
Vous avez pourtant une vie de famille bien remplie.

Oui, je vais être arrière-grand-père. Encore un garçon… Je n’ai eu que des filles qui ne font que des garçons. (Sourire affectueux.)

Vous avez toujours rêvé d’être journaliste? Vous avez fréquenté, un temps, l’école de journalisme de Paris…

Oui, mais j’ai été foutu à la porte très vite. En fait, j’ai eu la vocation à 6 ans, quand j’ai fait mon premier petit journal qui a été imprimé par un oncle, qui avait une imprimerie. Et puis je n’ai plus jamais fait que des journaux, à l’école communale, au lycée, à l’armée…

Cela vous amusait plus que l’école? Vous avez fréquenté plusieurs lycées…

Je ne les ai pas tous faits, mais je connais une bonne partie des lycées parisiens. D’ailleurs, j’ai souvent été sollicité pour faire partie de l’amicale des anciens élèves, alors que j’y étais juste resté quelques jours…

Pendant très longtemps, vous n’avez jamais parlé de votre enfance. Ce n’est qu’en écrivant vos mémoires, il y a 2 ans, que vous avez révélé que vous étiez un enfant juif caché pendant la guerre… Pourquoi?

On ne m’avait pas posé la question. Et puis, les souvenirs d’enfance, il faut attendre d’être assez vieux pour qu’ils vous reviennent, c’est un phénomène de la mémoire. J’ai écrit un livre de mémoires il y a deux ans, qui s’appelait "Je crois me souvenir" et qui racontait mon enfance, et notamment mon enfance sous l’occupation.

Cette époque vous a marqué.

Beaucoup. À telle enseigne que je ne suis pas très européen, que je ne supporte pas les feux d’artifice parce qu’ils me rappellent les bombardements de 1943 et que j’ai toujours peur de manquer. Cela vous marque durablement.

C’est par peur de manquer que vous travaillez autant?

Il y a une partie de l’explication, sûrement. La peur de manquer explique que l’on continue à travailler, parce qu’on ne sait pas de quoi demain sera fait.

Comment vivez-vous la montée de l’antisémitisme actuellement en France?

J’en pense beaucoup de mal. Je redoute que l’on ravive le racisme. Aujourd’hui presque toutes les guerres sont des guerres de religion.

Quel est votre rapport avec la religion?

J’ai toujours été athée, ou plutôt agnostique, c’est-à-dire que je cherche quelque chose que je ne trouve pas. J’aurais bien aimé trouver la foi, mais tous les ecclésiastiques auxquels je me suis adressé n’étaient pas intéressés par ma belle âme. (Rires.)

Vous êtes toujours accro au jeu?

La passion a un peu diminué, en même temps qu’augmentaient les impôts… Le joueur est un contribuable volontaire. C’est un type qui va porter son argent dans un établissement où l’État en prélève une bonne part. J’ai échangé beaucoup d’argent contre un peu d’adrénaline.

Vous avez dit un jour que le jeu est une passion suicidaire.

C’est vrai, le jeu est une activité suicidaire. Ce que Dostoïevski a oublié de remarquer quand il a écrit "Le joueur" (alors qu’il était lui-même un grand joueur), c’est que le joueur a beaucoup plus d’émotion dans la perte que dans le gain. Cela relève du suicide assisté.

Mais vous n’êtes pas suicidaire?

Oh! Pas du tout. Je me bats même en ce moment contre la légalisation de l’euthanasie…

Cela dit, vous avez aussi écrit une trilogie sur la mort dont le premier volume s’intitulait "Je suis mort, et alors?". La mort vous intrigue?

Je manque d’informations sur le sujet… Mais je ne suis pas le seul, et ça ne m’empêche pas d’en parler. C’est un sujet qui me tenait à cœur, auquel je pense beaucoup moins depuis que j’ai eu le temps d’en parler, souvent sans le prendre trop au sérieux, dans trois livres successifs.

Le troisième est sorti au début de cette année et s’intitule "Les morts seraient moins tristes s’ils savaient qu’ils pourront encore se tenir les côtes en regardant les vivants".

L’un de vos premiers livres s’intitulait "Un oursin dans le caviar" (un million d’exemplaires vendus en un seul été!). C’est vous qui trouvez tous ces titres?

Oui. J’ai longtemps été ce qu’on appelle dans les journaux un "titrier". Et je continue à écrire le titre de mon éditorial quotidien dans "Nice Matin" et celui de ma chronique hebdomadaire au "Figaro Magazine".

C’est aussi vous qui, tous les jours, rédigiez le petit mot d’introduction de chaque "grosse tête"?

Oui. J’aime me définir comme un jongleur de mots.

Quand on se baptise soi-même "l’oursin", on peut se faire des amis dans ce métier?

Oui bien sûr. Mes amis se nomment Bernard Pivot, Jacques Chancel, Philippe Labro. J’ai deux amis chers à mon cœur en Belgique, Marc Pasteger et Jean-Charles De Keyzer.

Mais on se fait aussi beaucoup d’ennemis?

Mes ennemis, j’ai pris la précaution de les choisir en mauvaise santé pour qu’ils disparaissent avant moi.

Et ça fonctionne?

Oui, ça fonctionne pas mal. (Sourire.)

Vous avez aussi des mots très durs contre des personnes en bonne santé…

J’ai un combat contre les incompétents de la gauche française. Mais je ne suis plus seul dans ce cas. Avant l’élection de Hollande, j’étais un des seuls à dire: "Ce type n’est pas antipathique, mais il ne fait vraiment pas le poids, ce n’est pas parce qu’on a dirigé le département le plus endetté de France qu’on peut diriger la France." Et aujourd’hui, je me sens très majoritaire.

Vous êtes inquiet?

Oui, beaucoup. Et encore plus inquiet compte tenu de l’âge que j’ai, parce que j’aimerais bien qu’avant que je ne disparaisse, la France aille mieux.

Vous n’êtes donc pas qu’un journaliste, observateur du monde qui l’entoure?

Ah si, je ne suis que ça: un témoin! À de rares occasions, je suis devenu acteur, mais mon vrai métier est celui de témoin. Je vois et j’explique. Parfois j’explique ce que je n’avais pas entièrement compris, mais ça, c’est la grâce de l’état de journaliste.

Comment voyez-vous l’évolution du journalisme?

Internet a tout bousculé. Je pense que c’est bon qu’il y ait ce nouveau vecteur, parce que cela va permettre d’employer de nombreux jeunes journalistes, mais je les plains. Enfin, comme ils n’auront pas connu autre chose, ils souffriront moins. Quand je pense que le journaliste d’internet gagne à peine de quoi ne pas mourir de faim et que, de surcroît, il ne peut pas ou très rarement se faire un nom, je me dis qu’il faut encore beaucoup plus aimer ce métier que je ne l’ai aimé, pour vouloir le faire aujourd’hui.

Le papier a-t-il un avenir?

Distinguons. Je crois à l’avenir du livre papier, plus confortable que le livre informatique. Et puis, le livre laisse une trace. (Il désigne d’un geste sa bibliothèque.)

Vous continuez à suivre les nouvelles technologies?

Oh non! Je me suis arrêté à la radio et la télévision. Je n’utilise pas les réseaux sociaux, je n’ai pas de blog. Je fais appel aux médias que je connais. Et j’ai assez de tribunes comme ça. Je ne suis pas privé d’occasions de dire ce que je pense.


http://www.lecho.be/culture/general/Je_ne_peux_pas_m_arreter_j_ai_peur_de_manquer.9542147-7772.art?itm_campaign=newsteaser&ckc=1

Écrit par : L'enfoiré | 07/09/2014

"Une vie de coffe" de Jean-Pierre Coffe vaut le détour mais sur un plan des plus hautes sphères

Écrit par : L'enfoiré | 19/05/2015

Après avoir lu "Une vie de Coffe" l'autobiographie de Jean-Pierre Coffe, j'avais constaté qu'il y avait quelques caractères de ressemblances.
Je le lui avais mentionné.
Pas eu de réponse.
J'ai compris le pourquoi.
mes références à Philippe Bouvard qui d'après lui est le type même de l'égoïste qui a mal vieilli.

Puis, j'ai trouvé cet interview
http://television.telerama.fr/television/sophie-davant-travaille-le-deuil-de-jean-pierre-coffe,128519.php

Écrit par : L'enfoiré | 25/07/2015

Philippe Labro a écrit "Ma mère, cette inconnue"
"Netka, il y a du slave dans ce nom qui sonne clair. Elle a cinquante pour cent de sang polonais dans ses veines. Il me faudra beaucoup de temps pour identifier la Pologne, chercher la trace du père inconnu, éclaircir les mystères, imaginer l'enfant-valise, la petite fille abandonnée. Elle est, elle était ma mère"
https://www.rtbf.be/auvio/detail_rencontre-avec-philippe-labro?id=2217004

Écrit par : L'enfoiré | 25/05/2017

Jeanne Moreau s'est éteinte à l'âge de 89 ans à son domi­cile pari­sien.
Elle a été l'adversaire la plus forte de ce politiquement correct.
Face à notre époque shoo­tée aux senti­ments mièvres, elle assume. Et tant pis pour les belles âmes et autres bobos qui font des gorges chaudes de la mater­nité et du désir d’en­fant. Jeanne Moreau n’a pas la fibre mater­nelle. Elle ne l’a jamais eue. Elle ne s’est jamais souciée de l’avoir
Je ne suis pas faite pour avoir des enfants. Mais j’aime beau­coup ceux des autres. Je suis davan­tage grand-mère que mère.» C’est balancé de sa voix d’an­tho­lo­gie, sans remord, ni tris­tesse, mais avec cette arro­gante fierté qui a toujours agacé son fils, Jérôme Richard, soixante-quatre ans aujourd’­hui.

Avec sa mère, l’unique a fini par faire la paix après une rela­tion heur­tée. Il n’est jamais simple de surmon­ter un senti­ment d’aban­don, de s’en­tendre dire d’al­ler ranger sa chambre quand on est en manque de câlins ou de se deman­der, seul le soir dans son lit, pourquoi maman est toujours dehors au lieu de vous racon­ter une histoire ou de vous aider à faire vos devoirs.
- Mon fils a été malheu­reux. Je pense qu’il est récon­ci­lié avec nous, son père et moi. Et surtout avec lui-même, depuis quelques années seule­ment.» Enfant délaissé, adoles­cent mal dans sa peau, adulte long­temps velléi­tai­re…
C’est à Los Angeles, où il est fina­le­ment parti s’ins­tal­ler, que Jérôme s’est fina­le­ment réalisé – il est artiste peintre –, loin de la statue du Comman­deur de sa mère.
Je ne peux pas dire si sa douleur a été unique­ment due à mon rapport à la mater­nité. Ce n’est pas que j’en rejette la respon­sa­bi­lité, mais je pense qu’il y a aussi des tempé­ra­ments, des personnes plus ou moins dispo­sées à souf­frir.
J’ai accou­ché en deux heures. A peine rentrée dans ma chambre, j’ai télé­phoné à mon metteur en scène. Je l’ai réveillé: « Ça y est mon enfant est né, je suis en pleine forme. Je pense pouvoir recom­men­cer à travailler dans huit-dix jours.
On ne peut pas essayer de faire de soi un instru­ment un peu rare et être asservi aux autres.
Il l’a très mal supporté, mais nous n’en avons jamais parlé. Il s’ex­pri­mait par sa violence. Il m’a tour­men­tée. J’ai été malheu­reuse, inquiète, frus­trée. C’était un amour mouve­menté, un amour qui a amené le désordre dans ma vie.
J’ai fait une psycho­thé­ra­pie. Cela m’a fait du bien parce que la souf­france qu’il pouvait traver­ser m’a causé une terrible culpa­bi­lité.
Je vois la pein­ture de mon fils, d’un homme et d’un artiste (…), une magni­fique indé­pen­dance. Grâce à la force de de sa créa­tion, le passé n’a plus la même impor­tance. L’ar­tiste qui s’en est nourri pour créer ces tableaux est devenu un étran­ger, c’est la preuve même que c’est une créa­tion. L’œuvre de Jérôme Richard, c’est la sienne!

Elle vient de s'éteindre dans son lit... elle a simplement oublier de respirer...

Écrit par : L'enfoiré | 03/08/2017

Vos enfants sont conditionnés dès leur plus jeune âge à souffrir des inégalités hommes-femmes

À la lumière du mouvement #metoo, les inégalités hommes femmes sont revenues sur le devant de la scène et redeviennent un sujet de société crucial. Et visiblement, ce n’est pas un luxe : la dernière étude en date sur le sujet le prouve : l’UNICEF a en effet constaté que sur un panel de 26 458 enfants et adolescents âgés de 6 à 18 ans, les discriminations sexuelles s’avéraient être présentes dès le plus jeune âge .

Les filles subissent des discriminations dès la cour de récréation
C’est en posant 165 questions concernant le respect de leurs droits, leur vie quotidienne, leurs loisirs, leur éducation et leur santé à 26 458 enfants âgés de 6 à 18 ans que l’UNICEF a constaté que les discriminations liées au genre prenaient racine dès le plus jeune âge.
En effet, l’étude montre que les petites filles sont davantage exclues « des lieux de sociabilité et de loisirs » et se mélangent difficilement à leurs congénères masculins dans la cour de récréation, pourtant lieu de socialisation principal à ce jeune âge.
Le déterminisme est également plus marqué pour les jeunes filles issues de milieu défavorisés : « le fait d’habiter dans un quartier populaire ou prioritaire ou encore d’avoir des parents au chômage à un effet plus fort sur les filles que sur les garçons », notamment en matière d’accès à la santé, ou à des lieux de loisirs, soulignent les auteurs de l’enquête. « Ce sont de petites différences, mais le fait qu’elles soient systématiquement plus en défaveur des filles traduit un effet de genre dans la constitution des inégalités que l’on peut donc repérer dès l’enfance. »
Selon Edith Maruéjouls, spécialiste du genre et coauteur de l’étude, ces résultats confirment que « les stéréotypes de sexe et le sexisme sont intégrés très tôt » et que « les individus et la société finissent par y consentir ». Si l’enquête montre que les filles sont moins sujettes aux railleries au sein leur établissement scolaire que les garçons, un phénomène qui toucherait un tiers des jeunes interrogés, « elles sont deux fois plus souvent harcelées que les garçons sur Internet, dans les transports en commun ou dans l’espace public .
Ce harcèlement vécu au quotidien engendre une relégation réelle des filles auxquelles on signifie que leur place n’est pas au dehors, en tout cas, qu’elles ne sont pas, pour beaucoup d’entre elles, dans un climat bienveillant. »
La tenue vestimentaire est un facteur hautement discriminatoire pour les filles, ce qui n’est pas le cas pour les garçons.« La “tenue correcte” exigée chez les filles est un problème récurrent dans les collèges et, de manière générale, dans la société. » Une véritable « carte mentale » imposée par la société, notamment aux adolescentes particulièrement sensibles à ces préjugés. Inquiètes d’être cataloguées comme « fille qui cherche ça », ou à l’inverse de ne pas « correspondre aux critères attendus de la féminité », le dilemme peut parfois s’avérer cornélien et extrêmement pesant pour ces adultes en devenir.

Des opinions sexuées ?
Des différences sexuées se font également sentir sur certains sujets comme l’homophobie : alors que 80 % des filles considèrent l’amour homosexuel comme équivalent à l’amour hétérosexuel, ils ne sont que 70 % chez les garçons à penser de façon équivalente. De plus, si la plupart des interrogés estiment que garçons et filles peuvent jouer aux mêmes jeux, 6,9 % des filles affirment le contraire, contre 11 %, soit presque le double, chez les garçons.
Ces inégalités sont particulièrement flagrantes chez les enfants aux heures de pause, durant lesquelles les filles sont naturellement exclues de l’espace de récréation au profit des garçons qui occupent l’espace principalement pour jouer au foot. « Chez les garçons, la première peur c’est d’être traité de fille. Quant aux filles, elles ne jouent pas avec les garçons car elles sont considérées par eux comme disqualifiées, moins bonnes, incapables », résume Edith Maruéjouls.

Les pouvoirs publics en mesure d’agir ?
Les auteurs également observent notamment qu’« à partir de l’entrée au collège, l’accès aux équipements de loisirs devient restreint pour les filles » et qu’elles « deviennent rapidement invisibles dans l’espace public », majoritairement construit autour des stades, skate parcs, ou boulodromes.
Les auteurs de l’étude appellent donc les pouvoir publics à agir et à « renforcer, diversifier et donner de la place aux activités des filles », ainsi que « d’arrêter de construire des équipements dont on sait qu’ils ne créent pas de la mixité. »

https://dailygeekshow.com/inegalites-hommes-femmes-enfance/

Écrit par : L'enfoiré | 12/11/2018

Écrit par : L'enfoiré | 21/06/2020

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